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LA PASSION D'AL-HALLAJ II
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LA PASSION D'AL-HOSAYN-IBN-MANSOUR
AL-HALLAJ
MARTYR MYSTIQUE DE L'ISLAM
EXÉCUTÉ A BAGDAD LE 26 MARS 922
ÉTUDE D'HISTOIRE RELIGIEUSE
PAR
LOUIS MASSIGNON
avec xxviii planches et un Index TOME II
LIBRAIRIE ORIENTALISTE
PAUL GEUTHNER
13, RUE JACOB, PARIS -1928
TABLE DIÎS MATIËIŒS
SECONDE SECTION
PagfS Avertissement préliminaire ,,,.... 461
CHAPITRi: XI THÉOLOGIE MYSTIQUE
I. — Introduction :
Les origines chez al Hallâj 464
II. — Psychologie :
o) L'homme selon le Qor'àn : le cœur 477
6) Théories contemporaines sur le corps et l'âme . . . 480 c) Doctrine hallagienne 484
III. — La « science des cœurs » :
a) Les événements intérieurs de l'âme selon le Qor'ân . 488
b) Les théories contemporaines 490
c) Doctrine hallagienne : le shâhid ' . 494
IV. — Les conclusions : les degrés de la présence divine dans
l'âme et l'union transformante :
à) Les données coraniques utilisées : le problème de l'ac- cord entre la langue et le cœur , 498
6) Les solutions minimistes du problème ■ «^04
c) Les théories de l'union transformante 506
d) Formation de la doctrine hallagienne 514
CHAPITRE XIl
THÉOLOGIE DOGMATIQUE DAL HALLAJ
Note préliminaire 535
L — Examen des données métaphysiques employées :
TI TABLE DES MATIÈRES
Pages
a) Le but rla connaissance de Dieu ; ses voies :
1. Les deux voies naturelles, et la troisième voie . 536
2. Tableau des questions discutées 542
3. Textes hallagiens 547
b) L§s différentes sortes de choses nommables :
1. Les postulats de la scolastique islamique . . 549
2. Les modes d'existence des choses, ad extra . . 559
3. Les degrés de réalité des choses, ab intrà, . . 365
c) Les ressources de la langue arabe :
1. Les matériaux de la grammaire . 571
2. La mise en ordre des idées -, 577
3. Les graphies synthétiques : l'alphabet philoso-
phique {jafr) 588
IL — Cosmogonie {gadar, 'adl) :
a) L'image de Dieu (soûrah) :
1. Les doctrines, l'amour « essence de l'essence
divine », selon al Hallâj 599
2. Le jour du Covenant (mî/Aôç) 607
b) La création des actes humains :
1. Leur attribution à Dieu 610
2. Leur attribution à l'homme : le fiât 612
3. L'attitude de Dieu à l'égard des hommes : doc-
trine mystique de la souffrance ; ses origines ; questions soulevées 616
c) La genèse de la création {bad' al khalq) ...'.. 623 IIL — Théodicée {tawhîd, sifât) :
a) La confession négative de la transcendance divine :
1, V'aqidah d'al Hallâj 635
6) Sa doctrine des attributs divins 645
c) La science et la puissance ; la parole ; l'esprit. . . 652 IV. — Eschatologie {wa'd, wa'îd) :
a) La promesse et la menace divines :
1. La notion du repentir ; <a?tJ6aft 664
2. Le rôle de la foi ; la condition de la menace
divine 668
b) Les fins dernières :
1. Ce qui survit de l'homme après la mort . . . 678
TABLE DES MATIERES VII
Pages
2. Les Assises du Jugement : le Juge, ses asses-
seurs 682
3. Les deux récompenses, en Paradis 689
V. — Juridiction {bayn : asmâ wa ahkdm) :
a) Le « voile du nom » :
1. La définition du mot comme nom 698
2. L'acception du nom comme statut juridique . . 706
3. La prédication légitime du nom comme jugement
pratique 710
b) Tableau des preuves préconisées au iii*/ix* siècle. 714 YI. — Politique {amr, nahy) :
a) La loi [sharVah) :
1, Origine divine de l'autorité : la bay'ah. . . . 719
2. L'imamat < .... 725
b) Les relations politiques d'al Hallâj avec les Qarmates. 730
c) La mission de prophète :
1. Le rôle d'envoyé 736
2. L'enchaînement des missions 740
3. salât 'alà'l Nabi ; shafâ'ah ? . 744
d) La sainteté :
i. Sa définition ; la ghibtah ; questions posées , . 747
2. La doctrine hallagienne du dévouement à la
Communauté 755
3. Ses conformités avec le type coranique de Jésus. 768
CHAPITRE XIIÏ
LES CONSÉQUENCES JURIDIQUES ; ET LES OBJECTIONS ADRESSÉES A CETTE DOCTRINE
I. — Les conséquences en droit canon {foroxC al fiqh) :
a) Subordination des rites prescrits à une règle de vie :
ses principes directeurs 772
b) Particularités rituelles propres aux mystiques . . . 778
c) Le symbolisme des rites 781
d) Réalité finale des rites . ....... 783
1. La critique hallagienne de la shahâdah . . . 784 IL — Les critiques portées contre cette doctrine :
a) Les notes d'hérésie relevées contre al Hallûj :
Pages
1. Par les théologiens (ino'tazilites) 791
-2. Par les Iinâmites 792
3. Par les mystiques sunnites postérieurs. . . . 793
b) Les critiques générales touchant sa règle de vie :
1. Le pur ahaadon et l'acte unique 79-4
2. L'individualisme anarchique 795
3. L'équilibre mental 795
4. La chasteté du regard ......... 793
c) Les critiques générales de son mysticisme .... 800
CHAFITRh: XIV LES ŒUVRES D AL HA.LLAJ
I. — Critique des textes :
a) Leur transmission orale primitive 804
1. Valeur des WMdcf , 804
2. [Asie des râtvis {taboqdl al 7'owât) 806
b) Les deux i-ecensions : WAsitî et Fàris 809
c) Les catalogues des o|)uscules ........ 815
IL — Histoire des textes conservés :
a) Les si-nfences détachées 822
b) Les [{iwrhiût 823
c) Le diwân des « poèmes et oraisons extatiques ». . 824
d) Les lon»s fragments dogmatiques et le recueil factice
des Taiodshi 82G
III. — 'Praduclion des Ta/vdsîn :
n) Cliapitre I" 830
1. Note sur la « clarté moliaiimiédienne »... 830
2. « L'Eloge du Prophète, ou la métaphore su-
prême » ... 835
h) Chi pitres II et 111 84i)
c) Chapitres IV et V 846
1. Note sur l'Ascension Nocturne 846
2. (. Par l'Etoile, à son déclin » 853
d) Chapitres VI et Vil 864
1. Note sur le péché de Satan 864
2. 'Jasiii al AzaI 867
TABLE DKS MATlÈKliS ^^
Pages
e) Chapitres VIII, IX et X 877
f) Chapitre XI : Boslân al Ma'rifah 885
IV. — Traduction des /{iwâyàt :
a) Riwâyât I à XXVIl 893
Y, _ Origiaahlé littéraire de l'œuvre hallagienne :
a) Le style ^^^
i . Le choix des mots et la prosodie : deux qasîdahs. 904
2. La période. .... 91'*
3. L'intention maîtresse de la pensée 914
4. Les emprunts et les imitations 916
3. Jugements portés par des littérateurs .... 919
è) L'influence sur la littérature islamique ..... 925
1. Traces d'influence doctrinale 9*25
2. L'interprétation alchimique 928
3. L'interprétation magique 931
4. L'interprétation satanique 9.i4
5. L'iconographie 939-941
.r, 942
Noie , . . . .
CHAPITRE XV BIBLIOGRAPHIE HALLAGIENNE
I, — Introduction :
. . 9*
a) Plan suivi
b) Bilan des recherches opérées :
1 . Les fonds examines -
2 Catégories d'ouvrages consultés .... 3*
3. Desiderata '^
c) Les précédents essais hibliographiques :
A*
1. En arabe
A*
2. En persan
3. En langues occidentales ^
H. — Auteurs arabes (n°^ 101-1001). ....... S*
III. — Auteuj-s persans (n''M021-123o) ^^*
IV. — Apocryphes persans (n°M26i-l263) 3^*
X TABLE DES MATIERES
Pages
V. — Auteurs turcs (n" 1301-1374) 53*
VI. — Auteurs malais (n°s 1391 et 1399) 58*
VII. — Auteurs hindis (ii°M 408-1414) . 58*
VIII. — Auteurs syriaques (n"" 1421 et 1426) 59*
IX. — Auteurs israélites (n°' 1451 et 1453) 59*
X. — Auteurs européens (n°= 1471-1736) « 59*-74*
Errata.
Index des noms propres. — des termes techniques.
TABLE DES PLANCHES
DU SECOND VOLUME
Pages
XX. Tombe d'Ibn al Fârid au Qarârah 530-531
XXT. Lapidation d'al Hallâj 622-623
XXII. Hallâj au gibet 7S8-759
XXIII. Hosayn-ibn-Mansoùr Hallâj sous les traits de Jésus
crucifié 770-771
XXIV. Corrections au texte des « Tawâsîn » 830-831
XXY. Qâb qawsayn 852-853
XXVI. Satan refuse d'adorer Adam . 870-871
XXVIl. Hallâj au gibet 916-917
XXVllI. Hallâj conduit au supplice 934-935
SECONDE SECTION
LA DOCTRINE D AL HALLAJ
AVERT1SSE31ENT PRELIMINAIRE
Les dix chapitres de la première section ont donné de la vie d'al Hallàj une silhouette, — accusant le trait autant que le permet l'état fragmentaire des sources consultées. Du moins avons-nous tenté de l'esquisser, avec toute la floraison posl mortem de son influence historique, convaincus que la biographie réelle d'un homme ne peut être terminée à sa mort, — et que, détachée de ses actions et réactions loin- taines, des fruits posthumes de son exemple, — une exis- tence humaine s'avère insaisissable, inintelligible, stérile.
Si donc, comme nous le pensons, c'est dans le rayonne- ment graduel de son influence, dans le flamboiement crois- sant de ses exemples a parte post, que l'on peut apercevoir, avec son originalité incomparable, ce qui est la vraie person- nalité immortelle d'un homme, — nous ne nions pas pour cela l'utilité d'un examen de ses origines traditionnelles et de ses méthodes intellectuelles ; et nous allons essayer d'ex- poser les conditions a parte ante de sa formation et de sa
462 SECONDE SECTION
croissance parmi les iiommes de son pays et de son temps. Cette analyse suivie des éléments qui ont été communs entre al Halhij et tel ou tel de ses contemporains ou devanciers fait l'objet des chapitres de la seconde section. Elle constitue une maquette de sa méthode de construction doctrinale ; . — ce n'est pas la mise en pièces numérotées, comme sur un chan- tier, de ses parties isolées, considérées dans leurs mises en œuvre individuelles (1) ; c'est la présentation de leur struc- ture organique, un montage destiné à rendre compte des équilibres fonctionnels de l'ensemble.
Cet ex posé se développe dans l'ordre suivant :I(chap. XI) : théologie mystique, tamwwof — II (chap. XII) : théologie dogmatique, Kalâm, osoûl al flqh — III (chap. XIII) : droit canon et conséquences pratiques, foroû\
Il donnera des références explicites aux autres systèmes théologiques et philosophiques du temps, permettant ainsi de mieux situer al Hallâj dans l'essor de la réflexion musul- mane.
La loyauté de pensée la plus stricte a été observée dans cette étude ; j'ai renoncé à tout concept descriptif ne faisant pas expressément partie de l'expérimentation mentale que j'ai voulu m'assimiler, reproduire en moi-même (2) et trans- poser en français. Je dois préciser que je n'aurais certes pas persévéré dans cette entreprise, si je n'avais éprouvé, chemin faisant, la vérité de quelques postulats qu'il me faut bien énumérer ici :
â!. Il y a quelque chose de commun entre les mots qui résument les faits pour notre mémoire ; l'authenticité objec- tive de la plupart des sensations qu'ils y fixent : base expéri- mentale de toute documentation (3).
(!) Voir notre Essai.
(2) Cfr. là-dessus, RMM, XXXVÏ, p. 50-51, 33.
(3) Comp. le scepticisme^ fidéisle ou nihiliste.
AVERTISSEMENT PRELIMINAIRE 463
^. Il y a quelque chose de commun enire les procédés de signalisation, entre les symboles qui permettent l'échange des idées entre les hommes : le parallélisme des processus logiques individuels, l'invariance (I) historique et géographi- que de la raison discursive : possibilité scientitique de clas- sements cohérents, auxquels travailler collectivement.
c. 11 y a quelque chose de commun entre les intentions maîtresses amenant les volontés humaines à s'unir ou à s'opposer : leur capacité permanente de choisir, leur liberté à l'égard des motifs que la mémoire recèle et que l'intelligence compare : réalité historique de chaque personnalité (2).
Enfin j'ajouterais qu'à mon sens l'élément proprement sociologique que la « science comparative des religions » doit dégager de chaque cas étudié pour permettre la compa- raison, c'est : non pas le lexique décoratif des événements, thèmes de folklore, aventures s'imposant à chacun, comme la naissance, la douleur, la mort (3) ; — ni la schématisation théorique des problèmes, lieux-communs philosophiques, qui en découlent forcément pour tous, comme la création, l'expiation, le jugement (4) ; — mais (5) l'ordre particulier de préséance réelle où ces questions sont abordées et réso- lues hic et nunc, — ordre différent suivant tel ou tel. Car c'est ainsi que l'on peut goûter, à travers les. paraboles, l'in- tention maîtresse d'une doctrine, son dessein, son but. Or c'est ceci même qui seul nous importe, en définitive : ce vers quoi nous allons.
(1) Comp. Lang et Gobineau.
(2) Comp. le monisme dit sociologique.
(3) Gela, c'est l'afTaire des philologues sensu stricto.
(4) Cela, c'est l'affaire des logiciens et esthéticiens.
(5) Une fois ces deux enquêtes préalables closes.
CHAPlTRb: XI THÉOLOGIE MYSTIQUE
Sommaire \
Pages
I. — Introduction :
Les origines chez al Hallâj 464
II. — Psychologie:
a) L'homme selon le Qor'ân : le cœur 477
b) Théories contemporaines sur le corps et l'âme. . . 480
c) Doctrine hallagienne 484
III. — La « science des cœurs » :
a) Les événements intérieurs de l'âme selon le Qor'ân. 488
b) Les théories contemporaines 490
c) Doctrine hallagienne : le shâhid 494
IV. — Les conclusions : les degrés de la présence divine dans
l'âme et l'union transformante :
a) Les données coraniques utilisées : le problème de
l'accord entre la langue et le cœur 498
b) Les solutions minimistes du problème 504
c) Les théories de l'union transformante 505
d) Formation de la doctrine hallagienne 514
l
Introduction.
Les origines chez al Jlollàj.
A travers tous les aspects de sa \ie et de sa doctrine, al Hallâj n'a cessé d'être-, par tempérament, par éducation et par vocation, un homme de propos ferme et déterminé. Ne
THÉOLOGIE MYSTIQUE 465
se suffisant pus de constater la présence on l'absence des faits, ni d'encliaîner ou classer ses idées, — mais un homme de désir, avide de goûter ce qui subsiste des choses qui pas- sent. Sa méthode de pensée est expérimentale; c'est une introspection mentale, se servant du vocabulaire coranique pour rendre compte des états d'âme de Mohammad, pris comme type du pur croyant (1), et des intentions requises pour parfaire le culte.
Jusqu'à quel point cette position d'esprit est-elle admise en islam, c'est ce qui peut être discuté. Ce qui nous importe, dès l'abord, c'est qu'ai Hallàj a bien été, spécifiquement, un musulman. Non seulement les termes originaux de son lexique, et le cadre de son système, — mais tout l'élan de sa pensée sort d'une méditation solitaire, exclusive, lente, profonde, fervente et pratique du Qor'àn (2) ; il a commencé par écouter les paroles de Dieu retentir en son cœur, comme Mohammad lui-même l'avait dû faire ; par refaire l'expé- rience mentale du Prophète.
Faute d'avoir suffisamment pratiqué le Qor'ân, bien des Européens ont étudié les penseurs musulmans « du dehors », sans entrer dans le cœur de l'Islâm lui-même ; n'ayant pas su devenir franchement les hôtes de cette Communauté, toujours vivante, depuis treize cents ans que ses membres ont « voulu vivre ensemble », ils n'ont pu saisir ni la struc- ture rayonnante, ni l'interdépendance centrale, des vies que leur patiente érudition disséquait.
De fait, ce code religieux est le lexique unique offert au
(1) Hown hoiva ; non pas du saint.
(2) Cette édition arabe de la Bible, réservée aux descendants charnels d'Abraham par Ismaël. « fil Qor'àn 'itm koll shay' » proclame al Hallâj (in Qor. YII, i ; XLVII, 21) : « Dans le Qoran est la science de toutes clioses créées » : car toutes y sont montrées périssables ; et le Qor'ân, via rcmotionis, atteste le mystère essentiel de Dieu : al Ghayb.
30
4ô6
CHAPITRE XI
croyant en terre d'Islam, le c text-book » essentiel de ses sciences, la clef de sa « weltanschauung » (1). On ne saurait trop insister, dans une biographie sociologique, sur i'im})or- tance maîtresse qu'a le Qor'àn pour l'élaboration de toute doctrine musulmane, même la plus hétérodoxe en appa- rence. Appris par cœur dès l'enfance (2), le Qor'ân est un « système du monde » positif et révélé, réglant l'expérimen- tation, l'explication et l'appréciation de tout événement. C'est pour tous les croyants, un mémorandum, une mémoire toute faite pour la vie courante, un répertoire verbal, u le dictionnaire du pauvre ». C'est pour beaucoup aussi un enchirïdïon, un manuel de définitions, garanties, constam- ment applicables et permettant à la réflexion de s'exercer. Et c'est, chez quelques-uns, enfin, un vwie /;iecwm pour la volonté, un recueil de maximes d'action pratique, à méditer à part soi, concentrant l'attention sur les preuves incessantes de la gloire divine.
Le Qor'ân simplifie donc le problème de la méthode pour le croyant ; ce code révélé nourrit la mémoire et déclenche l'action sans que la réflexion, entre deux, ait à hésiter long- temps. Celte conclusion brusquée du problème de la recher- che scientifique, cette table rase de toute expérimentalion étrangère au bénéfice de la vérification d'un vocabulaire homogène soumettant tout à l'action divine, directe et sou- veraine, a rendu possible, en Islam, un essor de la théologie aussi original que fécond ; de même que, en Grèce, l'essor de la philosophie est issu de la physique matérialiste des Ioniens.
Nous voudrions indiquer ici, de façon sommaire (3), à
(1) Une fois pour toutes; chaque allusion au Qor'àn est à vérifier au moyen des Concordantiœ Coroni arabica de Flugei.
(2) Après treize siècles, ce n'est que depuis vingt ans que le maktab, école coranique, faiblit ; et seulement en Egypte.
(3) Cfr. Eisai.
'î véri,
THÉOLOGIE MYSTIQUE l^6^
quelle place situer la doctrine d'al Hallâj, dans l'ensemble des syslènnes lliéologiques construits aux premiers siècles de riiégire. « La science, dit un hadU/i célèbre, est un devoir d'obligation, fanduh, pour tout musulman » (1). Pour al Hallàj, l'objet de la a science » n'est pas seulement de trans- mettre au croyatit, par l'audition (sarri) de traditions, la lecture correcte du Qor'ân, la lettre des règles qu'il énonce pour la vie sociale, actes cultuels (2), partage des successions, contrats, etc. ; ni de Caire comprendre les significations de la Loi, l'enchaînement causal de ses prescriptions, en exerçant son intelligence (itibâr) (3) ; sou but est finalement de trou- ver la Réalité elle-même, et d'y participer à jamais, en l'iso- lant de ce qui passe, choses sensibles et possibles, conceva- bles, en conformant du dedans nos intentions au Comman- dement divin [anir), hïc etnimr. Sa méthode n'est donc pas un simple enregistrement empirique et littéral [asmâ) de coutumes établies, de traditions autorisées, — ni une pure comparaison rationnelle de concepts bien définis (ma'âni) ; c'est aussi et surtout une introspection morale de soi-même. Elle n'exclut d'ailleurs ni l'emploi d'une dialectique ration- nelle pour mener la discussion, ni le recours à l'autorité traditionnelle pour en poser les termes ; mais elle les subor- donne toutes deux à un critère d'expérimentation intérieure, afin d'en vérifier les données et les démonstrations parles résultats.
Al Hallâj est bien, par ses maîtres Sahl et Jonayd, l'héri-
(t) Makliî, qoûl, I, 129-130.
(2) Théorie kiiârijite mitigée, celle de SofyânThawrî, Ibn al Mobârak, et Mâlik : le fiqh : la coutumière interprétation, correctement suivie.
(3) Recherche des (( motifs rationnels » des prescriptions, 'z/a/, si no- table chez Aboù Hanîfah, Tirmidhl (mystique), Ibn Bâboù^eh (imâ- mite). C'est l'idée-mère du kalâm : l'adhésion purement intellectuelle à la vérité théorique (dogme) est toute la religion : c'est l'idée des mo'tazi- lites et d'Ash'arî ; d'Aboù Thawr, Dàwoùd et Karâbîsî.
m
GHAPITHB XI
croyant en (erre d'Islam, le c text-book » essentiel de ses sciences, la clef de sa « weltanschauung » (1). On ne saurait trop insister, dans une biographie sociologique, sur i'imi)or- tance maîtresse qu'a le Qor'àn pour l'élaboralion de toute doctrine musulmane, même la plus hétérodoxe en appa- rence. Appris par cœur dès l'enfance (2), le Qor'ân est un « système du monde » positif et révélé, réglant l'expérimen- tation, l'explication et l'appréciation de tout événement. C'est pour tous les croyants, un mémorandum, une mémoire toute faite pour la vie courante, un répertoire verbal, u le dictionnaire du pauvre ». C'est pour beaucoup aussi un enchwidion^ un manuel de définitions, garanties, constam- ment applicables et permettante la réflexion de s'exercer. Et c'est, chez quelques-uns, enfin, un vade mecum ^ouv \di volonté, un recueil de maximes d'action pratique, à méditer à part soi, concentrant l'attention sur les preuves incessantes de la gloire divine.
Le Qor'ân simplifie donc le problème de la méthode pour le croyant ; ce code révélé nourrit la mémoire et déclenche l'action sans que la réflexion, entre deux, ait à hésiter long- temps. Celte conclusion brusquée du problème de la recher- che scientifique, cette table rase de toute expérimentation étrangère au bénéfice delà vérification d'un vocabulaire homogène soumettant tout à l'action divine, directe et sou- veraine, a rendu possible, en Islam, un essor de la théologie aussi original que fécond ; de même que, en Grèce, l'essor de la philosophie est issu de la physique matérialiste des Ioniens.
Nous voudrions indiquer ici, de façon sommaire (3), à
(1) Une fois pour toutes; chaque allusion au Qor'én est à vérifier au moyen des Concordanliœ Corani arabica de Fliigel.
(2) A|»rès Ifcize siècles, ce n'est que depuis vingt ans que le maklab, école coranique, faiblit; et seulement en Egypte.
(3) Cfr. Essai.
THÉOLOGIE MYSTIQUE 467
quelle place situer la doctrine d'al Hallàj, dans l'ensemble des systèmes Ihéologiques construits aux premiers siècles de riiégire. « La science, dit un hadîlh célèbre, est un devoir d'obligation, farîdah, pour tout musulman » (1). Pour al Hallàj, l'objet de la « science » n'est pas seulement de trans- meltie au croyant, par l'audition [sam] de traditions, la lecture correcte du Qor'âii, la lettre des règles qu'il énonce pour la vie sociale, actes cultuels (2), partage des successions, contrats, etc. ; ni de faire comprendre les significations de la Loi, l'enchaînement causal de ses prescriptions, en exerçant son intelligence [liibâr) (3) ; son but est finalement de trou- ver la Réalité elle-même, et d'y participer à jamais, en l'iso- lant de ce qui passe, choses sensibles et possibles, conceva- bles, en conformant du dedans nos intentions au Comman- dement divin [amr) , hic et nunc. Sa méthode n'est donc pas un simple enregistrement empirique et littéral [asmâ) de coutumes établies, de traditions autorisées, — ni une pure comparaison rationnelle de concepts bien définis (ma'ânî) ; c'est aussi et surtout une introspection morale de soi-même. Elle n'exclut d'ailleurs ni l'emploi d'une dialectique ration- nelle pour mener la discussion, ni le recours à l'autorité traditionnelle pour en poser les termes ; mais elle les subor- donne toutes deux à un critère d'expérimentation intérieure, afin d'en vérifier les données et les démonstrations parles résultats.
Al Hallàj est bien, par ses maîtres Sahl et Jonayd, l'héri-
(1) Makkî, qoûi, I, 129-130.
(2) Théorie khârijite mitigée, celte de SofyânThawrî, Ibn a! Mot)ârati, et Mâlik : le fiqh : la coutumière interprétation, correctement suivie.
(3) Recherche des « motifs rationnels » des prescriptions, 'ilal, si no- table chez Aboù Hanîfah, Tirmidht (mystique), Ibn Bâboùyeh (imâ- mite). C'est l'idée-nière du kalâm : l'adhésion purement intellectuelle à la vérité théorique (dogme) est toute la religion : c'est l'idée des mo'tazi- lites et d'Ash'arî ; d'Aboù Thawr, Dàwoùd et Karâbîsî.
468 CHAPITRE XI
lier direct de la pensée maîtresse, conçue par Hasan Ba§rî lorsqu'il jeta les bases de la « science des cœurs et des mou- vements de l'âme », 'Uni al qoloûb wa al khawâtir (1 ).
Il convenait donc éminemment de commencer l'exposé de sa doctrine par sa théologie mystique ; elle coordonne et oriente toutes ses thèses. Si al Hallâj s'attache à décrire l'as- pect extérieur des choses, à repérer le contour des phéno- mènes, s'astreint exactement aux rites du culte (2), c'est pour constater que la puissance divine {qodrah) est une acti- vité simple, radicalement différente des traces sensibles {rosoûm, (iydt) qu'elle laisse gravées en notre mémoire (3). — S'il énonce et entrechoque des concepts, des définitions logiques et des arguments dialectiques, c'est pour conclure que la parole divine est une vérité positivement transcen- dante, masquée par l'abstraction [tajiid] même, et par ce concept discursif de Dieu qu'elle fait concevoir à notre intel- ligence (4). S'il oriente par des effusions d'amour tousses désirs vers Dieu, c'est pour attester que l'Esprit divin seul peut « réaliser » ces désirs, les vivifier par ce don surnaturel de soi, ce sacrifice efficace, sans lequel nos protestations d'adoration (daivà) et de renoncement, notre abandon plé-
(1) Niyah, avant 'amal ; sonnah supérieure k faridah. Gfr. Tirmidht, 'ilal, f. 196 seq. — fâsiq = monâfiq. — ArmawM'appelle « science de Vikhlâs ».
(2) Akhb. H ; cfr. suprà, p. 70. Dieu veut que le saint continue à pratiquer la loi, « afin de pouvoir rayonner par ses œuvres y> (Sol. 198).
(3) Tanzîh.
(4) « Il est au delà des âmes [nafs = l'esprit propre), car l'Esprit [roûh) les transcende, de toute sa primauté ! L'âme n'implique pas l'Esprit. 0 vous, que votre âme aveugle, si vous regardiez ! 0 vous, que votre vision aveugle, si vous saviez ! 0 vous, que votre science aveugle, si vous compreniez î 0 vous, que votre sagesse (==ma'rifah) aveugle, si vous arriviez I 0 vous, que votre arrivée même aveugle, si vous L'y trouviez ! Vous vous aveuglez pour toujours sur Celui qui subsiste à jamais » (Shath. f. 131).
THl^OLOGIE MYSTIQUE ^69
nier au choix divin sont sans valeur (1) pour nous unira Dieu.
Al Hallàj use délibérémenl d'un vocabulaire très riche, puisé non seulement aux sources traditionnelles de la ^( science des cœurs » primitive, mais aux écoles tliéologiques contemporaines les plus variées ; depuis les kollàbiyah et karràmiyah jusqu'aux mo'lazilites, depuis les Imâmites modérés jusqu'aux Qarmates et aux adeptes de la philosophie hellénistique. Ce n'est pas, chez lui, essai de syncrétisme,
— c est par esprit apologétique (2) : il accepte et éprouve tous les mots mis en circulation, il les combine pour en remanier les définitions, mais c'est pour aboutir à procéder à un choix parmi les intentions esquissées et les applications réalisées. Exemples :
a) Citations et utilisations de termes isolés : FIQH : tawbah, da'Nvâ,qiyâm [Khârijites] (3) ; KALAM : noûr al'ayn, khamr, hilàl (Noseïris) (4) ; sayhoûr (= bîkàr), âfàq, ghâyat al ghâ- yât, qiyâmah spirituel, jamî' al milal {Qarmates (5).
b) Appî'opriation de méthodes, définitions et distinctions doc- trinales : JSAHW (6) : afâl, a'mâl — shakk, yaqîn — hâl, naH — tajânos, tajâvvoz, tajallî — ma'rifah, nakirah — majâz (maqâl), haqîqah — mofassal, mojmal — maqroûn, manoût — idmâr — mohmal — la'all — milhàl, shàhid
— iqtirân — ism manqoùs (7) — ma'toûf — 'awâmil —
(1) Les protestations sincères de pur monothéisme, chez Satan, da'ivà sahîhah, avaient en réalité un sens inverse {'aks alma'âni), pour Dieu qui a^ découvrit de l'orgueil (Taw. VI, 7).
(2) Cfr. suprà, p. 72, 77, 113.
(3) Eléments anciens, empruntés par les élèvesde Hasanau khârijisme.
(4) Trois images du zo/iowr divin : cfr. Taw., p. 130, 133, 135 — avec le rituel des Kelâziyah.
(5) Théorie des cycles, permettant de comparer les religions. Cfr. théo- rie de l'horoscope des religions, de Pierre d'Ahano. Cfr. Tavv^. X, 2.
(6) Gfr. Howoil, Grammar, s. v. ; Taw. XI, 1, 14 ;Shath. f. 127, 131.
(7) Taw. IX, 4.
470 CHAPITRE XI
BA YAN : in qolla, man qâla — horoiif al faqîh (1 ) : waw, ilâ, in ; faqad ; kaannaho ; lïanna ; famâ'l ; ma {iâ)... illâ [siwà).
KALAM : (brocards) : isin bilâ zamàn (2) — khatt (noqat mojtami'ah) (3) — Jâ shajarah illà min bizrah (4) — la yolaba^'ad wa là yolajazzâ Bâk. 47 = Taw. XI, 12). — [mot a traditionnels) (5) : siràj — dorrat baydâ — kibrît ah- mar — shirk khafî — [procédés dialectiques) (6) : mo'àradah, motâlabah, lahqîq ; plutôt que tashkîk (3^ degré qarmate) ou takâfou'al adillah.
(MoUnzilites) (7) : qidam, liadalh — 'adl wa taw/dd — isti- wâ, — istîlâ — klialq wa i'tibâr — dhât. — Allah Noûr = hâdî. haykal — nafy al istilhna — lawbah fard — sihhat'îmân al moqallid — noboûwat abadîyah.
[Kollâlnyah (8) : sifât azalîyah — sifât dhât (ex. : kalâm, irâdah) — sifât fi'l qadîmah — dhât mawsoùf bisifàt — nafî al maqâdîr — lajwîz — Kah\m nafsî li Moûsâ — laklîf ma la yotâq (= makr) — rida, irâdah — ism, mosammâ — mowâ- fâh — Haqq, haqîqah - tâ'ah mowàfaqat al amr.
[Karrâmiyah] (9) : shahâdatal dharr (= mîlhâq) — takhsîs
(1) Qarâfî, tangih, éd. Qâsimî (in motoûn osoûliyah, p. 44). Gfr. Taw. VIII, 7-10, X, 7-15, XI, 3-13.
(2) Taw. IX, cfr. la définition aristotélicienne {fkhwân al safd, II, 407).
(3) Id. ([,31, 43); et Akhb. 9.
(4) Ibn al Mar'ah, sharh al irshâd, lit, s. v. « moqaddam ». Cfr. Taw. III, 6.
(5) Hadîlh déjà discutés au troisième siècle de l'hégire.
(6) Gfr. Goidziher, introd. àa Mostazhirî de GhàziW, p. 62 ; et Schrei- ner, ZDMG, XLII, 657-659.
(7) Cfr. infrà, chap, XU-ii, m, v.
(8) Gfr. infrà, chap. Xll-ii, iv. lïallâj dit t azalîyah » comme Ibn Kolldb. On lui a reproché d'ailleurs l'emploi du mot « azal » (Baqlî, shathiyâl, f. 160' ; loS*^, 162'^). Ibn Sàlim, Ash'arî et Mâtorîdî diront « qadîmah ».
(9) Gfr. infrà, chap. XII-ii, et XII-v.
THEOLOGIE MYSTIQUE 4?!
al qodrah — Jawhar rahbrmî - lahlîgh (iblâgh') — /aliât al anbiyà — ikhtirâm.
[Hanballtes) (1) : vvojoùd = ilhbàt — hodoùr = 'ilm (en Dieu).
(Imdmites) (2) : ism âkhir — Mîm — ashkhàs — lûhoût, nàsoût — borhàn — zohoûr — hijâb — les XII boroûj — mahall Mobammad (= makàn) — noboùwah azaliyah — noûr sha'sha'ànî — la yîd al Roûh — 'ikhà (offrande du pain consacré : pour les morts) — lamlib — ghàmid al 'ilm — sanà al làhoLit — dhallat laho al 'omoijr — en tête de lettre (Akbb. 52 z= lettre ap. Maqrîzî, itti'âz, 120).
(Khârijites) (3) : isqàt wasâ'il al liajj — fâsiq monâfiq — madhhab al as'ab (tutiorisme).
(Philosoplies et médecins hellénisants) (4) : a) symboles : cer- cles (dawà'ir) — formules en sigles sur une portée — décom- position des noms en lettres isolées (soryàuiyah) — b) logique et sciences: catégories et universaux (jawâhir, kayf, lima, ayn, mata — jins, naw') — takhyîl — annî (= annîyah) — howî (= howîyah) — howa bowa — dahr, miqdàr — itmàm
— 'adad nàqis (5) — bisbân — khaft al istiwâ (6) — khalà, malà — hadmab roûhàniyah — qiyàm : bi nafsihi, bi haqqihi
— isti'dâd lil noboûwab — talâsbî — tasâiîf, Mlal — jawlân.
— c) Convergence cl intentions maîtresses : pensées reprises et accentuées :
— Hasan Basri (7) : distinctions : amr, irâdah — sonan, fard — 'irziqnî, cfr. Akbb 1 . (torziqanî) — taklîf, tafwîd.
(1) Cfr. 'aqîdah hanbalite de l'an 432/1040 (ici, infrà, chap. XII).
(2) Mots techniques des Noseïris et Druzes.
(3) Cfr. suprà, p. 281, avec farq, 86. — Akhb. 10, 11.
(4) Taw. IV, 1 ; X, 1, 16. cfr. Asin, Abenmasarra, 63, 69. Taw. IX, 1, X, 21. Taw. I, 15, VI, 26 ; probablement à l'école des Qarmates (cfr. suprà, p. 71).
(3) Numerus imminutus. Cfr. Ikhivdn al sa/o, I, 39.
(6) Akhb. 34, 35.
(7) Cfr. momjah d'Tbn al Mortadâ, 13.
472 CHAPITRE XI
— Ja'far (1) : 'aqîdah fî'l tanzîh — Dieu = al Haqq — commentaire de (Qor. I, 5) « ihdinâ » (= orsliodnâ ilâ mahabbatika) — tilâwah du saint comparée à la voix du Buisson Ardent — gliamd al'ayn (Taw, II, 7, VI, 2).
— Sofyân Thawrî (2) : « la fonction du tahlil dans le croyant est celle de Feau dans le monde (i. e. : vivifier) — cfr. « la fonction de la basmalah dans le saint est celle du fiât » (i. e. : créer) (ap. Sol. in Qor. 1, 1).
— Ibn Ad'ham (3) : Ilah al ilahât, Rabb al arbâb ; cfr. QT.^ p. 59* — ; aFârif fârigh min al donyâ wa'l âkhirah : cfr. QT.^ p. 54* ; — acte de contrition : cfr. ici p. 251.
— Ibn'Iyâd [^) : man atâ'a Allah, atâ'aho koll shay' — cfr. théorie du Motâ'.
— Dârâni et Mansoih' ibn'Ammâr (5) : kashf al Wajh al Karîm — cfr. Akhb. 1.
— 'Ahmad Ibn 'Asim Antâ/d{Q) : Allah... alladhî yata- waddad ilâ man yoùdhî'oho, fakayfa biman yoiidha fîhi — cfr. ici p. 305, et n. 5.
— Bistânii (7) : sirâj min al ghayb : cfr. Taw. I, \ — mokhâtabat Allah.
— Aboû Hamzah (8) : qorb.
(1) Kâshif al ghitâ, da'wah islamlyah, p. 70 seq. (comp. les 'aqîdah dites d'Alî, ap. Tabarsî, ihtijdj, 99 seq.) ; Tabarsî, l. c, i89 ; Makkî, qoùi, I, 47 (comp. farq, ^88j ; Baqiî, tafsîr, XVII, \. Hallâj s'est servi, comme Iba 'Atâ da tafsîr fragmentaire attribué à Ja'far, et que Solamî cite en tête du sien (œuvre d'Ibn Ilayyân, Ibn Ghânim, ou Yamân- b-'Adî).
(2) Tostarî, tafsîr, 39.
(3) Ihyâ, I, 223 ; Mohâsibî, mahabbah (in HUxjf^h, s. v. Mohàsib!). Et encore Jhyâ, I, 223.
(4) Makkî, qoùt, 11,41. La théorie du MotcC a été reprise parGhazàli, mishkâl.
(5) Qosh. 18. Sarrâj, masâri\ 113-114.
(6) miyah, ms. Leide, 311, f. 175^.
(7) Baqiî, tafs. t. I, p. 14.
(8) Qosh. 50.
THIÉOLOGIE MYSTIQUE /l73
— Kharrâz (1) : Dieu connu "^ala haddayn ; cfr. 'aqîdah, ici infrà — 'ayn al jam' : cfr. ici p. 260. — fana, baqà.
— Sahl Tostari (2) : l'mln dJtât (et /?7). Cfr. lisdn hojjah (ou ishârah) (QT., 70*j — asl, far' — tajallî — dà'î al Haqq
— qiwàm — al Masmoùd ilayhi — nibbànî.
— Tïrmidhl['è) : étymologies alphabétiques (soryânîyah).
— tayràn — i^m a'zam — mohiqq — fadl al qalb — wilâyah.
— Jonayd (4) ; shabah (Cfr. Hallàj, in Sol. Qor. LVI, 23). wahdâniyah, tasârîf.
— IhrCAtâ (5) : vocation des saints à la douleur, halâ, qui est une probation.
— Al Hallâj me paraît être personnellement le premier à avoir défini les six thèses suivantes : isqât al wasà'it (6) — toûl, 'ard (7) — RoTd.î nâtiqali ghayr makhloûqah — qiyàmî bi haqq al Habb — sliàhid ànî — mahabbah, dhât al dhàt. — L'allégorie célèbre du u papillon et de la lampe » serait aussi de lui. — Il se considérait comme autorisé à pratiquer en (iqli, non seulement le /«///^, — mais
(1) Baqlî, tafs. in (Jor. LVIil, 22.
(2) Ms. Kopr. 727 (notainment « Bàb al tajallî »). Yâfi'î, nashr, 42». Tostari : tafsîv, 49 ; 69, 80, 12.^ ; 40. Najdî, p. 2.^6.
(3) Cfr. 'liai al sharî'ah, f. 197.
(4) Daiuâ al arwâh.
(5) Gfr. ici, p. 46. Nâbolosî (radd malin) a bien rendu cette pensée.
(6) Disparition des moyens (rites) quand les fins sont réalisées {tahqiq alhaqâ'iq) (cfr. Baqlî, tafs Qor. XLVIII, 10 et Solamî, id. Uor. Vil, 158 ; et ici p. 277 ; et Riw. XI. XIV).
(7) « Longueur et largeur » de l'entendement ; distinction déduite de l'analyse de l'acte cultuel (Taw. XI, 16), elle joue un peu le rôle, chez al Hallàj, de la distinction aristotélicienne entre la maiière et la forme. Et, de même qu'lhn Sab'în déduira de l'hylémorphisme que Dieu est la forme et le monde la matière (Aloùsi, jalâ, s. v.), de même Iba 'Arabî déduira de cette dichotomie d'al Hallàj que : le monde spi- rituel et le monde matériel sont les deux dimensions de l'Apparition où l'Unique se contemple ; ce n'est pas l'idée d'al Hallà) (Taw. p. 142, n. 5).
/l74 CHAPITRE XI
rijlihâd (1 ). ~ Il en a usé pour réfuter diverses doctrines :
— d) Polémiques ; thèses réfutées :
En FIQH (2) : shobohât al ri/q, t^horoiij (KhârijUes) — culle littéral du dhikr, de la shaliâdah, de la tasliyah {Hash- iviyah et Bokhârî) — koll mojtatiid mosîb [Motazilites] — fana al [^AiM^ [Qarmates).
En KALAM (3) : tanzîl (Haskw ), ta'wîl [Motaz.), ta'lîl, tajrîd [Qarm.) en tawhîd — limitation du nombre des sifât azaliyah [KoUâMyah] — jihat al 'oloûw ( Hashw.) — réduction de l'îjàd au takwîn, du wojoùd au wâjib (et momkin) [philo- sophes] (i) — liesse à raisonner (5) attribuée à Dieu [id.) — non-éternité du Roùh (Kollâbiyah, etc.) — morcellement et traducianisme du Roûh (taqsîm al 'Aql al akbar, de Tirmidhî ; •holoûl joz'î, lashakhkhos des Sabéens, et Qarmates) (6) — matérialisation et traducianisme de la « lumière de Moham- mad )' [Imâmites mohammadîyah) (7).
En résumé, al Hallâj, tulioriste en fiqh^ se sert du vocabu- laire des us et des formes des rites tels que Khàrijiteset sun- nites l'ont élaboré ; mais, selon sa règle de Visçât al wa- sâ'it (8) : c'est pour que leur appareil cérémoniel se consume à nos yeux dans la réalisation même de l'intention divine (shahàdah (9) — âdhàn (1 0) — hajj (11) — hay'ah) (12).
(1) Aklib. i\.
(2) Gfr. swprà^ p. 128 ; et infrà, XII-v.
(3) Infrà, XII -ii.
(4) Théorie du « kon ! ». Gfr. ici, infrà.
(3) Ladhdhah 'aqliyah, niée ap. son comm. de Qor. XXXVI, 55.
(6) Gfr. înfrà, XII-ii.
(7) Gfr. Taw. I.
(8) Gfr. suprà, p. 277.
(9) Gfr. chap. XIII.
(10) « Alhadfa ! > (Qor. III, 16). Gfr. chap. XIII.
(11) Gfr. ici, p. 275-279.
(12) Gfr. chap. Xll-v.
THEOLOGIE MYSTIQUE ^75
Il allie aux sclièmes métaphysiques du Kalàm diverses données de la philosophie hellénistique, — mais c'est pour faire adhérer de façon plus serrée à la transcendance et l'om- nipotence divines. Il reprend et combine les pensées d'au- trui, — mais c'est pour conseiller de choisir et d'exclure, pour prêcher une règle de vie qui mène à Dieu.
Dans les développements amples de sa pensée, tels certains chapitres des Tawâsln, l'intention maîtresse est unci invita- tion méditée à l'action réfléchie et persévérante, un don nu des trois puissances de l'âme, mémoire, intelligence et volonté, tournées droit, à travers la nuit noire, vers Dieu seul. Exemples :
Problème de la l'oie mystique: où chercher Dieu? En passant outre aux choses (1), aux signes (2), au vouloir propre {3) (chap. II).
Problème de la ro/i/?am«/^ice mystique : comment connaître Dieu? En reconnaissant qu'il est réellement transcendant, à l'épel, lettre par lettre, de ses Noms (4), — à lépuration conceptuelle de ses attributs (5), — et même à notre inten- tion pure d'affirmer son Essence (6) (chap. VI-X).
Problème de Yunïon mystique: comment s'unira Dieu? Comme c'est Lui qui crée et maintient la multiplicité de l'Univers, c'est^par Lui et non en elle qu'il faut regarder (7) ; comme c'est Lui pour qui elle est explicable, c'est vers Lui et non en elle qu'il faut faire plonger l'intelligence (8) ; comme
(1) Taw. ITI, 1 6.
(2) Taw. IV. V.
(3) Taw. III, 8 iO.
(4) Contre Ibn Hanbal, Sahl ; même au /t.dont s'enivrent les derviches dans les séances du dhikr (Taw. IX, 2).
(5) Taw. IX et X.
(6) Taw. VI, 6-9.
(7) Taw. II, 7 ; XI, 10-12.
(8) Taw. V, 8-10, 21. Doctrine de Visqât al wasâ'if.
476 CHAPITRE XI
c'est Lui el non elle qui la centralise et la nneut, c'est Lui seul qu il faut laisser vouloir au fond de notre cœur (1), où il ne peut se fixer (2) s'il ne le transforme (3) (chap. XT).
Quantaux courtes définitions qui condensent sa pensée, elles nous font assister, en raccourci, à une mise en marche de la preuve ; d'un mouvement violent et persuasif, il im- prime à ses phrases une coupe dynamique, une articulation enchaînée, une formation militante. Cela ressort d'une com- paraison avec les définitions plus statiques de Sahl, plus théoriques de Jonayd.
Ex. : définition du moi hobb, mahaôùah, amour:
« L'amour, c'est étreindre l'obéissance, et s'écarter de l'orgueil » (Sahl) (4),
H L'amour, c'est la pénétration des qualités de l'Aimé, par permutation avec les qualités de l'amant » (Jonayd) (5).
(t L'amour, c'est que tu restes debout, auprès de ton Bien- aimé, quand lu seras privé de tes qualités, et que la qualifica- tion vienne (alors) de Sa qualification » (Hallàj) (6).
Plus que des aphorismes mnémotechniques, ou des for- mules théoriques, ses définitions sont des invitations à l'ac- tion :
(( Contrôle (7) tes respirations, tes minutes, tes heures, cela qui te revient, ceci dont tu t'occupes. Celui qui sait d'où il vient sait où il ira ; celui qui connaît ce qu'il fait, connaît ce qui sera fait de lui ; celui qui connaît ce qui sera fait de
(l)Taw. III, U; V, 34-39; XI, 8. (2) Taw. XI, 15. (3)Taw. XI, 19-24.
(4) Tafsh', p. 36 : cité Qosh. 171.
(5) Sarrâj, loma\ 59.
(6) Ap. Sol. in Qor. III, 29. « Qiyâm », c'e.st rester debout, pour la prière ou la lutte (opp. qo'oûi). « Ittisâf », c'est qualification.
(7) Ap. Sol. tafs. Qor. XXVIIl,73,etSol,j«?<;dmi',ms. Laléli, 1516, f. 167".
THÉOLOGIE MYSTIQUE 477
lui, connaît ce qui lui est demandé ; celui qui connaît ce qui lui est demandé, connaît ce à quoi il a droit ; celui qui con- naît ce à quoi il a droit, connaît ce qu'il doit; et celui qui connaît ce qu'il doit, connaît ce qui est sien (et le restera). — Mais celui-là qui ne sait d'où il vient, ni oii il est, ni comment il est, ni à qui il est, ni en quoi il est (fait), ni ce qu'il est, ni ce pour quoi il est (fait), — celui-là fait partie de ceux dont les instants de vie passent, inemployés, de ceux qui ont délaissé l'invite pressante de Dieu ^ Qui, dans Sa miséri- corde, a établi pour vous la nuit (non perpétuelle, mais alternant) avec le jour, pour que (pendant la nuit) vous vous reposiez (du travail du jour). Lui demandiez avec désir Sa faveur, et que vous Lui rendiez grâces » (Qor. XXVÏIl, 73). »
II
Psychologie.
a) L'homme selon le Qor an : le cœur.
Voici l'inventaire des données coraniques :
Insân, l'homme. Au dehors, zâhir, corps (/i.çm), frêle vase d'argile (Qor. LV, 13), enveloppe matérielle précaire, asser- vie de plus à des misères charnelles, hashar (1). Au dedans, bâtin, vide intérieur central [jciwf] (2).
Qalb, le cœur (3). L'essentiel de l'homme, c'est, au dedans d'un morceau de chair (4) placé dans ce creux central, un
(1) La distinctioQ entre iynân et bashar, entre l'Adam idéal montré aux Anges, réalisé dans le Saint, l'homme pur et simple, capable d'être transfiguré,— et l'homme pécheur et charnel, est développée par Hallâj.
(2) iahr, bain : chez l'homme, il renferme les semences des descen- dants.
(3) Qor. XXXIII, 4, etc. — cfr. les Psaumes ; S. Antoine {Apoph- tegm. Verb. Senior.) ; et, au xvii« siècle, le lexique des mystiques comme Pascal, le B. J. hiudes, Ste Marguerite-Marie.
(4) Modghah.
478 CHAPITRE XI
mouvement: oscillation régulatrice, pulsation permanente et incommunicable, ressort caché des gestes : le cœur, qalb, tajwif\fouâd. C'est le lieu secret et caché, iirr (1), de la conscience, dont les confidences (najwâ) (2) seront mises à nu au jugement.
Nafs^ l'âme (3). Dans ce creux intérieur et secret, s'accu- mulent, de par la digestion qui s'y opère des sensations et des actes, divers résidus : amas incohérent et obscur d'illu- sions flottantes, pensées et désirs, qui n'ont ensemble en propre que cette inconstance perpétuelle, ce vacillement particulier que leur imprime l'oscillation individuelle du cœur, laçlîb, vie précaire : c'est l'âme, le « moi ».
Sharh al saJ?\ le dilalement de la poitrine. L'âme, em- bryon factice d'une personnalité immortelle, ne peut prendre consistance que grâce à une intervention divine, instantanée et renouvelable ; réitération de cette impulsion créatrice initiale qui mit le cœur en branle. Par cet te intervention, due à r « aide d'un esprit », à « l'insuiflation de l'Esprit » (4), Dieu met à nu la paroi du cœur, écarte ses voiles (5), le circoncit (6) ; comme au moyen d'une étincelle, la foi. La foi, pendant le temps où elle brille, transfigure \sina/s. Elle la cohère et l'unifie ; elle en fait une mémoire où l'homme
(1) VI. 3 ; XX, 6 ; XXVI, 7 ; LXXI, 8.
(2) IX, 79 ; XLIII, 80 ; LXXXVI, 9.
(3) Intimement liée au sang, à la vie. cfr. infrà, p. 518, n. 2.
(4) La concision du Qor'ân permet les deux interprétations, simulta- nément, quoique la tradition sunnite (eu dehors des Hanbalites) ait, depuis le quatrième siècle, favorisé exclusivement la première.
(5) Voir infrà, p. 486, n. 4. 11 les referme sur le cœur rebelle : tab' (Qor. IV, 154).
(6) Gholf auparavant (Qor. II, 82 ; IV, 154). Le cœur est mis à nu; mais ce n'est pas encore l'infusion surnaturelle en dedans du cœur, iflidâd al sirr = holoùl al domîr jawfa'l foù'âdi (cfr. Tuw. 133; et ici, p. 518).
THÉOLOGIE MYSTIQUE ^79
retrouve sa vocation prééternelle de croyant; où elle la lui fait lire, pour l'énoncer en une langue ordonnée et cons- truite, où elle lui fait prendre conscience, hic et nunc, de sa vocation primordiale (/y?^7M^/) (1), de la prédétermination divine de ses actes et de ses gestes^ où elle les lui fait com- prendre comme des signes, âydt, incomparables, irrécusa- bles et directs de l'omnipotence divine. Le cœur a été fait pour permettre à l'homme de « porter le poids », surnaturel, « récusé par la terre et les montagnes », du u dépôt de la foi » (haml al amâaalï) (2) : pour être le lieu (i^) de l'inévi- table comparution de l'homme devcint Dieu.
L'homme est saisi par le Qor'àn dans l'unité même de son mouvement, dans l'ébauche inachevée de son geste, dans la démarche même de son acte, au point d'insertion de l'esprit dans la matière, cela qui est le cœur, qalb^ d'où le mouve- ment surgit comme d'une source pour lonaliser les déplace- ments des membres. Dans le « mode de passage » particulier à chacun.
Le Qor'ân admet comme résolues, sans les expliquer, les énigmes fondamentales de la vie : naissance (4), douleur, sommeil (et rêve), mort (5), survie d'outre-tombe, résurrec- tion. Son but est d'enfermer dans ses limites légales l'activité humaine, il ne traite aucune des questions théoriques sui- vantes :
(l)Cfr. in/'»-à, Xll-n.
(2) Qor. XXXIII, 72 : comp. commentaire cl'al Hallâj (in Solamî). Ce verset fut très tôt critiqué par les zanâdxqah (Tabarsî, 122). Gfr. Hodhayfah (Ilanbal V, ;i63) et Bistâmî (ap. Sha'râwî, 1, 75).
(3) Le Qor'ân ue dit pas cela explicitement, mais l'interprétation parait s'imposer dès Jonayd (Baqlî fa/s., f. 300' ) (Ghazàlî, ih\ià, HI, H).
(4) Décrite comme une embryogénie à plusieurs stades (XXIII, 12- 14; XL, 69).
(o) Ambiguïté de la mort des saints (III, 163), notamment de Jésus (IV, 156) ; ils sont enlevés à Dieu (cfr. Sahl, ici p. 487 ; et Hallàj, in Qor. XL, 67).
478 CHAPITRE XI
mouvement: oscillation régulatrice, pulsation permanente et incommunicable, ressort caché des gestes : le cœur, qalb, tajwif\fouâ(i. C'est le lieu secret et caché, iirr (1), de la conscience, dont les confidences (najtvâ) (2) seront mises à nu au jugement.
Nafs\ l'âme (3). Dans ce creux intérieur et secret, s'accu- mulent, de par la digestion qui s'y opère des sensations et des actes, divers résidus : amas incohérent et obscur d'illu- sions flollanles, pensées et désirs, qui n'ont ensemble en propre que cette inconstance perpétuelle, ce vaciJlement particulier que leur imprime l'oscillation individuelle du cœur, taqlib^ vie précaire : c'est l'âme, le « moi ».
Sharh al saih\ le diJatement de la poitrine. L'âme, em- bryon factice d'une personnalité immortelle, ne peut prendre consistance que grâce à une intervention divine, instantanée et renouvelable ; réitération de cette impulsion créatrice initiale qui mit le cœur en branle. Par cette intervention, due à r « aide d'un esprit », à « l'insuiflaiion de l'Esprit » (4), Dieu met à nu la paroi du cœur, écarte ses voiles (5), le circoncit (6) ; comme au moyen d'une étincelle, la foi. La foi, pendant le temps où elle brille, transfigure \si?ia/s. Elle la cohère et l'unifie ; elle en fait une mémoire où l'homme
(1) VI. 3 ; XX, 6 ; XXVI, 7 ; LXXI, 8.
(2) IX, 79 ; XLIII, 80 ; LXXXVI, 9.
(3) Intimement liée au sang, à la vie. cfr. infrà, p. 518, n. 2.
(4) i.a concision du Qor'ân permet les deux interprétations, simulta- nément, quoique la tradition sunnite (en dehors des Hanbalites) ait, depuis le quatrième siècle, favorisé exclusivement la première.
(5) Voir infrà, p. 486, n. 4. II les referme sur le cœur rebelle ; tab' (Qor. IV, 154).
(6) Gholf auparavant (Qor. Il, 82 ; IV, l.^U). Le cœur est mis à nu ; mais ce n'est pas encore l'infusion surnaturelle en dedans du cœur, iftidâd al sirr = holoùl al damîr jawfa'l foù'âdi (cfr. Tuw. 133; et ici, p. 518).
THÉOLOGIE MYSTIQUE ^79
retrouve sa vocation prééternelle de croyant; où elle la lui fait lire, pour l'énoncer en une langue ordonnée et cons- truite, où elle lui fait prendre conscience, hic et nunc, de sa vocation primordiale [inUliâq) (1), de la prédétermination divine de ses actes et de ses gestes^ où elle les lui fait com- prendre comme des signes, âyâl, incomparables, irrécusa- bles et directs de Tomnipotence divine. Le cœur a été fait pour permettre à l'homme de « porter le poids » , surnaturel, « récusé parla terre et les montagnes », du « dépôt de la foi » (haml ai amâna/i) (2) : pour être le lieu (1^) de l'inévi- table comparution de l'homme devant Dieu.
L'homme est saisi par le Qor'ân dans l'unité même de son mouvement, dans l'ébauche inachevée de son geste, dans la démarche même de son acte, au point d'insertion de l'esprit dans la matière, cela qui est le cœur, qaiô, d'où le mouve- ment surgit comme d'une source pour lonaliser les déplace- ments des membres. Dans le « mode de passage » particulier à chacun.
Le Qor'èn admet comme résolues, sans les expliquer, les énigmes fondamentales de la vie : naissance (4), douleur, sommeil (et rêve), mort (5), survie d'oulre-lombe, résurrec- tion. Son but est d'enfermer dans ses limites légales l'activité humaine. Il ne traite aucune des questions théoriques sui- vantes ;
(1) Cfr. iufrà, Xll-ii.
(2) Qor. XXXIII, 72 : comp. commentaire d'al Hallâj (in Solamî). Ce verset fut très tôt critiqué par les zanâdiqah (Tabarsî, 12i). Cfr. Hodha^fah (Hanbal V, .'J63) et Bistâmî (ap. Sha'râwî, I, 7ô\
(3) Le Qor'ânnedit pas cela explicitement, mais l'interprétation parait s'imposer dès Jonayd (Baqiî lafs.^ f. 300' ) (Ghazàlî, ilpjâ, \\i, i\).
(4) Décrite comme une embryogénie à plusieurs stades (XXIII, 12- 14; XL, 69).
(o) Ambiguïté de la mort des saints (III, 163), notamment de Jésus (IV, 156) ; ils sont enlevés à Dieu (cfr. Sahl, ici p. 487 ; et Hallàj, in Qor. XL, 67).
A80 CHAPITRE XI
a) Comment accorder le désir, qui croît du dedans, — et le geste qui happe au dehors : la langue et le cœur, le char- nel et rimmatériel, le périssable et l'immortel ; la solution par le dualisme de fâme et du corps-, qui ressort si nettement en Chrétienté du l'écit de la résurrection de Jésus, s'introduira en Islam au moyen de la considération, chez les Imâmites, du sens divin, wa'nà, à donner aux événements.
b) Comment concilier la qualification légale des consé- quences directes de l'acte humain (impulabilité, Jugement dernier), — avec l'irrévocabilité de son déclenchement ori- ginel par une prémotion divine (Justice divine, décret prééter- nel) ; c'est Hasan Basrî qui trouvera la solulion du tafwid^ de « l'investiture >> divine de l'homme comme agent libre (1), — solution tronquée par les moHazililes et leur thèse de la liberté psychologique, privilège d'indift'érence, droit de ne pas choisir.
c) Comment coordonner, en nous-mêmes, la genèse de nos actes ; la perception (mémoire) avec la réflexion (intel- ligence) et avec l'action (volonté) ; le problème d'une « règle de vie », tel que Mohâsibî le formulera.
Mais, contrairement à l'opinion pharisaïque de beaucoup de foqahâ^ acceptée dej)uis soixante ans par bien des arabi- sants, j'ai dû reconnaître, avec Margoliouth (2), qu'il y a dans le Qor'ân les germes réels d'une mystique, germes sus- ceptibles d'un développement autonome, sans fécondation étrangère.
b) Théories contemporaines sur te corps et l'âme.
i° Théorie atomiste (Jahm, 'Allàf, Jâhiz, Ash'arî et la plu- part des motakallïmoûn) (3) :
(1) C'est-à-dire que sa liberté le dépasse, qu'il ne peut en user bien que s'il l'abandonne à Dieu. Cfr. Essai.
(2j Early development of Mohammedanism, 199.
(3) Shâmil, ms. Leyde, 1945, f. 13^ Hazm V, 65, 66, 74.
THÉOLOGIE MYSTIQUE 48 1
L'homme n'est qu'une enveloppe matérielle superfi- cielle (1), badan, un cadavre inerte, jasad. Cette étendue, cet agrégat d'atomes n'a par le dedans aucune réalité dura- ble : son seul principe de cohésion est que : la volonté divine lui constitue, du dehors, un contour modelé, lui pétrit (2) une forme variable d'équilibre extérieur, hayhal mahsoi/s wa makhsoûs : fantôme d'âme (3), irréel assemblage de sim- ples accidents (4) Çarad), que Dieu fait censément mourir et ressusciter par la séparation et réunion de ces atomes ; hai/- kal = nafs .= roùh =r ^aql = qalb.
%" Théorie émanatiste (Imâmites) :
L'homme est un système factice d'enveloppes matérielles concentriques, ^/^i/«/ (5), sans autre unité commune que la volonté de Dieu qui les emboîte les unes dans les autres, après les avoir découpées dans la matière de ses émanations lumi- neuses successives, en les rangeant dans un ordre de < sub- tilité » décroissante, du centre à la périphérie : (a) la gaîne centrale, allaf ghïlâf^ enveloppe transparente de l'action créatrice, fragment de la première émanation divine, qui oriente mécaniquement l'ensemble : le « sens » : manà (6). (b) la seconde gaîne, le « moi » conscient, nafs = shakh? ;
(1) Pour eux, rien n'existe (en dehors de Dieu) que le matérialisé, l'étendu, kairn. Il n'y a pas de substances immatérielles.
(2) Soit créée une fois pour toute la vie(taèfrt^idhVdnî/aftde Jahm) ; soit recréée à chaque respiration, à chaque instant Çâdah : Nazzâm {farq, 126) ; Ash'arî-Bâqillânî-Ibn'Arabî, fotoûhât, I, 2H ; IV, 23).
(3) Le haykal n'est pas une substance, c'est un simple accident, ou assemblage d'accidents. Ibn Kaysân nie même son existence.
(4) Sous sa forme modérée, c'est celle de la plupart des orthodoxes, jusqu'à Ghazâlî : ash'arites, zâhirites et hanbalites considèrent la nafs et le roûh comme des corps subtils qui meurent et ressuscitent avec le corps (Ihn al Farrâ. moHamad) ; Bâqillânî identifie lana/is au tanaffos (respiration) et le roûh à la vie [hayàl; siège dans le cœur).
(5) Ce qui paraît une exégèse de Qor. XXIV, 35.
(6) Les [jremiors Imàmiles, jusqu'à Hishàm inclusivement, sont jabn- riies (Ibn Qotaybah, mokhtalif, 59).
/iSa
CHAPITRE XI
(c) la troisième, le fonctionnement vital: roûh = 'aqJ.^qalb ;
(d) la gaîne extérieure, le « corps », luminosité pâle, encras- sée, ohscxxvcXe : jïsm =^ mnam = haykal (1) •= harzakh = noûi' zolâmi.
Cette théorie servit aux premiers médecins musulmans, qui, comme les Imâmites, admettent la précellence delà nafs sur le roûh (2), de l'âme parlante [nafs nàtïqah) (3), qui « personnalise », sur l'esprit vital matériel qui circule dans le corps avec le sang comme un agent d'exécution (4).
3° Théorie de Hasan, Bakr, et de certains mo'tazilites :
L'homme est certes une enveloppe matérielle, qâlab, un moule. Mais ce moule reçoit de Dieu, du dedans, une cer- taine unité personnelle, par l'hébergement d'un ou plusieurs principes d'activité, latciif^ corps subtils ; ils sont, durant la vie, le siège de son autonomie subjective, — ils résident dans ce corps comme l'astre dans sa sphère d'action {haykal)^ ils lui survivent et le rejoignent, pour le transfigurer à la résur- rection. Ici, quelques divergences:
a) Aswârî, Foûtî, Ibn Hâyii, Ibn al Ràwandî (5), n'admet-
(1) Haykal, litt. « temple, résidence », est un terme d'astrologie, peut- être harrânien ; il désigne la masse astronomique de Tastre, au centre de son ciel (falak), c'est-à-dire de l'enveloppe sphérique de son orbite (théorie de Ptolémée. Cfr. Shatirast, II, 123).
(2) Seuls quelques imâmites et mystiques, les Roùhânhjoûn comme Jâbir et Rabâh, soutinrent la primauté du roûh immatériel : Tostarî et les Sâlimiyah les suivirent, avec Kharrâz.
(3) Al Hallâj dira au contraire : Roûh nâtiqah.
(4) Jibrâ'il Bokhtyéshou', ms. Paris 30^8, f. 40^ 4Û\ 'Alî-ibn-Rab- ban, firdaivs al hikmah, II, %'i. TaihdiVsi,ihtijâj, 181 ; Nâsir-i-Khosroû, zâdalmosâfirîn, Supp. pers. Paris 2318. Même discussion pour la pré- cellence de la soûrah entre les Imâmites (pour qui soûroh = l'apparence matérielle, et ma'nà, l'acte divin) et les philosophes (soûrah z= forme spirituelle, et hayoûlà rz matière). Voir ici, p. 297, n. 4, la curieuse
correction «al soûrah hya (pour fîhâ) al Roûh », d'un hanbalite philo- sophe (probablement Ibn 'Aqîl).
(5) Cfr. Tahànawî, Âashshâf, s. v. roûh, — Comp. la glande pinéale de Descartes.
117,1
THEOLOGIE MYSTIQUE 483
lent qu'un seul principe interne d'activité, et le placent, atome subliJ, dans le cœur : qalb — 'aql.
b) Un spiritualisnae croissant, imité des platoniciens, in- cline, amène certains (1), INazzâm, 'Altàr, Mo'ammar, Jo- waynî, Ghazâlî, Mosaiïar, Ràgliib, Fakhr Râzî, 'Izz Maqdisî, Jiidakî, à professer que l'essence de l'homme est uniquement une raison immatérielle, parcelle de substance spirituelle et impassible, 'aql =z roùli = qalb, indépendante du corps pas- sible, misérable et illusoire [shabali^ mitliâl)^ qui est son vêlement {Ihawb) d'humiliation momentanée, sa prison d'occasion, de qui la mort la délivre pour toujours ; l'unité apparente du corps, pendant la vie d'ici-bas, ne dérive pas de Y'aql, mais d'un équilibre hylique, d'un mélange entre quatre humeurs, akhlât = arwâh, circulant à travers les tissus et soumise aux inlluences astrales, af'lâk. De plus, il y a tendance, par syncrétisme, chez les Druzes, les ishrâqiyoûn et les philosophes, à considérer V'aql comme une parcelle de la deuxième émanation divine (2), sorte de pensée imper- sonnelle, illuminatrice, d'idée angélique : 'aql^= roûh (3) = noûr qâhir.
c) Les disciples mystiques de Hasan, sous l'intluence de nombreuses traditions admises aussi par les Imâmites et les
(1) L'idée s'ébauche dès Hishàm-ibn-al-Hakam (contre 'Allâf) ; farq, 117, 119, 256, 261 ; Haqqî, ruûhal bayân, II, 300. Les Imâmites, Kar- râmiyah et Sâlimiyah affirment, contre "Allâf et Ash'arî, que l'âme (nafs, chez les Imâmites ; roûh, chez les Sâlimiyah) demeure immortel- lement vivante après le décès du corps (Hazm, IV, 215; tabsirah, 391). Cfr. Qostâ-ibn Loùqâ {/arq bayn al nafs wa'l roûh, éd. Cheikho), qui est troublé par le conflit entre Platon et Aristote, sur les définitions.
(2) Même Ghizàlî (hdonîyah, extr. ap. tabsirah, 399).
(3) Kharrâz s'est opposé avec beaucoup de force à cette identifica- tion : « C'est le roûh qui communique au corps le mot de la vie, c'est par lui que l'acte y germe, c'est lui qui fait prouver ; sans le roûh, V 'aql resterait inopérant (moia'aUil), sans recueillir ni administrer de preuves » (Baqli, tafsîr, f. 210^).
'^
482 CHAPITRE XI
(c) la troisième, le fonetionnemeot vital : roûh = 'aql=^qalb ;
(d) la gaîne extérieure, le « corps », luminosité pâle, encras- sée, obscurcie : jïsm =: sanam = haykal (1) — barzakh — noûr zoiâmî.
Cette théorie servit aux premiers médecins musulmans, qui, comme les Imâmites, admettent la précellence delà nafs sur le roûh (2), de l'âme parlante [nafs nàtïqah) (3), qui « personnalise », sur l'esprit vital matériel qui circule dans le corps avec le sang comme un agent d'exécution (4).
3° Théorie de Hasan, Bakr, et de certains mo'tazilites :
L'homme est certes une enveloppe matérielle, qâlab^ un moule. Mais ce moule reçoit de Dieu, du dedans, une cer- taine unité personnelle, par l'hébergement d'un ou plusieurs principes d'activité, lataif^ corps subtils ; ils sont, durant la vie, le siège de son autonomie subjective, — ils résident dans ce corps comme l'astre dans sa sphère d'action {haykal)^ ils lui survivent et le rejoignent, pour le transfigurer à la résur- rection. Ici, quelques divergences:
a) Aswârî, Foùtî, Ibn Hâyii, Ibn al Râwandî (3), n'admet-
(1) Haykal, litt. « temple, résidence », est un terme d'astrologie, peut- être harrânien ; il désigne la masse astronomique de Tastre, au centre de son ciel (falak), c'est-à-dire de l'enveloppe sphérique de son orbite (théorie de Ptolémée. Cfr. Shahrast, II, 123).
(2) Seuls quelques imâmites et mystiques, les lîoûhâitiyoûn comme Jâbir et Rabàh, soutinrent la primauté du roûh immatériel : Tostarî et les Sâlimiyah les suivirent, avec Kharrâz.
(3) Al Hallâj dira au contraire : Roûh yiâtiqah.
(4) Jibrâ'il Bokhtyéshou', ms. Paris 3028, f. 40=> 40K 'Alî-ibn-Rab- ban, firdaios alhikmah, II, §2. Tabarsî, ihtijâj, 181 ; Nâsir-i-Khosroû, zâialmosâfirin, Supp. pers. Paris 2318. Même discussion pour la pré- cellence de la soûrah entre les Imâmites (pour qui soî/rfl/^ = l'apparence matérielle, et ma'nà, l'acte divin) et les philosophes (soiirah = forme spirituelle, et hayoûlà = matière). Voir ici, p. 297, n. 4, la curieuse
correction « al soùrah hya (pour fîhâ) al Roûh », d'un hanbalite philo- sophe (probablement Ibn 'Aqîl).
(5) Cfr. Tahùnawî, Kashshdf, s. v. roûh. — Gomp. la glande pinéale de Descartes.
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lent qu'un seul principe inlerne d'activité, et le placent, atome subtil, dans le cœur : qalb — 'cujl.
b) L'U spiritualisme croissant, imité des platoniciens, in- cline, amène cerlains (1), Mazzâm, 'Altàr, Mo'ammar, Jo- waynî, Ghazâlî, Mosafl'ar, Rà^liib, Fakhr Rùzî, 'Izz Maqdisî, Jildakî, à professer que l'essence de l'homme est uniquement une raison immatérielle, parcelle de substance spirituelle et impassible, 'aql r= roùli = qalb, indépendante du corps pas- sible, misérable et illusoire [shabah^ ynithâl)^ qui est son vêtement [t/iawb) d'humiliation momentanée, sa prison d'occasion, de qui la mort la délivre pour toujours ; l'unité apparente du corps, pendant la vie d'ici-bas, ne dérive pas de rV^/, mais d'un équilibre hylique, d'un mélange entre quatre humeurs, akhlâl — arwâh, circulant à travers les tissus et soumise aux influences astrales, af'làk. De plus, il y a tendance, par syncrétisme, chez lesDruzes, les ishrâqiyoùn et les philosophes, à considérer 1"^^/ comme une parcelle de la deuxième émanation divine (2), sorte de pensée imper- sonnelle, illuminatrice, d'idée angélique : 'aql^=^ roûh (3) = noûr qàhïr.
c) Les disciples mystiques de Hasan, sous l'influence de nombreuses traditions admises aussi par les Imâmites et les
(i) L'idée s'ébauche dès Hishâm-ibn-al-Hakam (contre 'Allâf) ; farq^ 117, 119, 256, 261 ; Haqqî, voûhal bayân, II, 300. Les Imâmites, Kar- râmiyah et Sàlimiyah affirment, contre 'Allâf et Ash'arî, que l'âme (nafs, chez les Imâmites ; roûh, chez les Sâlimiyah) demeure immortel- lement vivante après le décès du corps (Hazm, IV, 215; tabsirah, 391). Cfr. Qostâ-ibn Loùqâ {/arq bayn al nafs ico'l roûh, éd. Cheikho), qui est troublé par le conflit entre Platon et Aristote, sur les définitions.
(2) Même Ghiizâlî {ladonhjah, extr. ap. tabsirah, 399).
(3) Kharrâz s'est opposé avec beaucoup de force à cette identifica- tion : « C'est le roûh qui communique au corps le mot de la vie, c'est par lui que l'acte y germe, c'est lui qui fait prouver ; sans le roûh, V 'aql resterait inopérant (moia'attil), sans recueillir ni administrer de preuves » (Baqlî, tafsir, f. 210*).
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(c) la troisième, le fonclionnemet vilal: roàli = 'aql^=qalb\
(d) la gtiîne exlérieure, le « rorp», himiuosilé pâle, encras- sée, obscurcie : //.9m = ^r/w^/zi haykal ( I) -= barzakh = noùr toldnii.
CeUe Ihéorie servit aux preriers médecins musulmans, qui, comme les lmi\mites, adrellent la précellence delà nafs sur le roùli (2), de l'ftme pataiite [nafs nâtir/ah) (3), qui « personnalise », sur l'esprit viil matériel qui circule dans le corps avec le sang comme un i^-nt d'exécution (4).
3° Théorie de l.lasan, Baltr, ctic certains mola/.ilites :
L'homme est certes une envh'ipe matérielle, qâlad, un moule. Mais ce moule reçoit c l>ieu, du dedans, une cer- taine unité personnelle, par rhéciii;ement d'un ou plusieurs principes d'activité, htàl/\ corf subtils; ils sont, durant la vie, le siège de son autonomie sDJt'ctive, — ils résident dans ce corps comme l'astre dans sa pli ère d'action {hayhal), ils lui survivent et le rejoignent, p< i le transli^urer à la résur- rection. Ici, quelques divergen-^:
a) Aswftrî, Foùll, Ibn Hàyil, In al Ràwandî (5), n'admet-
(!) Hoykal, lill. « temple, résidenco, est un terme d'astrologie, peut- être harrânîen ; il désigne la masse rtronomiquc de l'astre, au centre de son ciel ifalakj. c'est-à-dire de 1 ^ sphérique de son orbite
(théorie de Ptolémée. Cfr. Shahrast, .
(i) Seuls quelques imàmites et myiques. les Roùhânhjoûn comme Jâbir et Rabàh, soutinrent la priinaul 'lu roùh immatériel : Tostarî et les S;\limiyah les suivirent, avec Ivlurà/.
(3) Al Hallâj dira au contraire : Rch nâtiqah.
(4) Jibr'à'il Bokhtycshou, ms. Pari ■M)I>\, f. iO'' 4U^ 'Ali-ibn-Rab- ban, firdmvs al fiikmah, II, ^i. Tal>a l iht'J'V^ *8' > Nâsir-i-Khosroû, '.nialmosdfir\n,S\ipp. pers. Paris 2:8. M.^me discussion pour la pré- cellence de la soùrah entre les Imâmcs 'pour qui soûroh = l'apparence matérielle, et ma'nà, l'acte divin) êtes [diilosopbes isoûrah = forme spirituelle, et hayoû/â = matière)yoir ici, p. 297, n. 4. la curieuse
correction «al soùrah hija (pour plidal Roùh >>, d'un hanbalite philo- sophe (probablement Ibn 'Aqll).
(5) Cfr. Tahilnawi. Kashshàf, s. \roûh . — Comp. la glande pinéale de Descartes.
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b) Un spiritualisme croissai, imité des platoniciens, in- cline, amène cerlains («), ^aJàm, Allàr. Moammar, .lo- waynî. Ghazàli, Mosaiïar, Hnuli.. Fakhr RAzi, Izz Maqdisi, Jildakî, à professer que l'ess-MM de l'homme est umquenœnt une raison immatérielle, pan ee de substance spirituelle et impassible, 'uql = roùh = yZ/niidépendanle du corps pas- sible, misérable et illusoirr sihah, mil/iâl), qui est son vêtement [tlunrb) d liumili iiii momentanée, sa prison d'occasion, de qui la mort la cilivre pour toujours ; l'unité apparente du corps, pendant 1 vie d'ici-bas, ne dérive pas de Y'aqL mais d'un équilil.r \lique, d'un mélange entre quatre humeurs, akhlât — urnU, circulant t'i travers les tissus et soumise aux inlluoin ■ islrales, aflùk. De plus, il y a tendance, par syncrétisme. ^ li' les Druzes, les is/mh/ii/oùn et les philosophes, àconsid.i» Vat/i comme une parcelle de la deuxième émanation di\ ti 2), sorte de pensée imper- sonnelle, illuminatrice, d'id» . n^élique : '«///= roùh (3) = noùr qàhir.
r) Les disciples mystique, .i llasan. sous 1 inllueiice de nombreuses traditions admir ' !>ar les Imàmites et les
{\) L'idée s'ébauche dès HishAii. il» al-Makam (ronlre 'Allàf) ; /"n'y, il7, 119, 25r>, 201 ; Haqfjl, ri>ûh u' ''làn, II, .300. I.cs IriiAmilea, Kar- ràmiyah et SAlimiyah afiirmcnl. • oin- AIIAf et Ahharl. que l'àinc {naf$, chez les ImAraites ; roiîA, ch. z s Sàlimiyali) demeure iinuiui t :
lement vivante a[ ' Il.-.zm. IV. 215 ; fa6nraA, 391).
Cfr. Qos.tâ-il)n 1. . , ; /» «<'»'' ''o*^' *^- Cheikho), qui
est trouMé par le conflit entre PlalOD Aristote, sur les définition!^
(2) M»hne Gh. zAil ' ' ' " p. tuhirah,
(3) KharrAz s'est o^j 'ip de foi tion : « C'est le roûh qui coinrouniqo'aa par lui que l'acte y frenfi»-, • ' li r 'aql resterait inopéraLi [mii. preuves » (Baqli, tafthr, f ilO*
484 CHAPITRE XI
zâhirites, admirent la pluralité des principes internes, des lataif[\). Les considérant comme des gaines distinctes, de provenances différentes (2), emboîtées les unes dans les au- tres (comme les Imâmites), nafs <Cqalb <C?'0Ûh<Csirr[3)^ ils y virent des <v voiles » (4) les séparant du foyer divin, desti- nés à être levés, successivement, par la grâce ; Bistâmî, par une ascèse intérieure intense, essaya même d'enlever le der- nier voile, sin\ mais il n'aboutit qu'à l'éblouissement aveu- glant supprimant toute vision.
c) La doctrine hallagienne.
La psychologie hallagienne, comme celle de Mohâsibî, paraît fortement influencée par le spiritualisme de Nazzâm. Elle admet en l'homme la domination directrice et l'unité fondamentale d'un principe immatériel ; çalb, cœur ; ou roûh, esprit (5). « Dieu a créé ces corps (ha?jâ/cif) sur le type causal ; astreints à des déformations (dfât), et d'une réalité qui périt. Il a fait croître en eux les esprits [arivâh] jusqu'au temps fixé [ajalma^doûd). Il s'est assujetti les esprits par la
(l)Hojwlrt,? /TasA/", 197.
(2) "Amr Makkî admet pour elles une évolution qui rappelle la cos- mogonie des Noseïris (Hojwîrî, /. c, 309). Hallâj rectifie (ap. Sol. in Qor. XXIV, 35) : action de l'i/^^iya/î (5irr), roboùbiyah (roûh), noû- riyah (qalb : noùr al tadbîr) et harakah (nafs). Cfr. Tostarî, rns. Kopr. 727 : l'homme a été créé de quatre choses : hayât, roûh, noùr, lin.
(3) C'est la liste d' 'Amr Makkî (/. c.) et d'ibn 'Atâ (Baqlî, tafs\r, t. 1, p. 347). Tostarî préfère: qalb, 'aql, sam'.
(4) Au rebours des philosophes, pour qui les Intelligences séparées, 'oqoûl, sont des sphères d'influence concentriques, dont la dignité croît, comme pour les astres, avec l'expansion, du centre du système vers la périphérie. Chez eux, le roûh humain = 'aql bi'l milkah, baigne dans r 'aql supérieur qui l'illumine.
(5) Inséré au dedans : qalb. Isolé au dehors : roûh. D'accord avec Mo- hâsibî, Kharrâz et leurs successeurs, al Ilallâj se refuse à le confondre avec r 'a(//> comme Nazzâm et Jàhiz.
THEOLOGIE MYSTIQUE 485
mort, et les a ligotés, au moment môme où II les parache- vait (1), avec l'impuissance (^ajz) » (2).
L'homme a donc un double aspect, une double affinité [nasab) (3) ; — uni à un corps étendu, il doit devenir charnel, il est voué à tomber sous l'esclavage de la matière (raqq al kawn) et sous le mépris divin (4) ; et il y est tombé. Mais en revanche, destinée à être unie à un esprit, la forme de son corps a été mise d'avance à partdes animaux (5), ennoblie (6), affranchie de l'esclavage (7), vouée à la liberté, avant sa création ; car le vêtement idéal de gloire divine que Dieu, imaginant le type d'Adam, présenta aux adorations des Anges comme une image divine, soùrah, est la préfigure de l'affinité réelle (8) que Dieu réserve aux hommes avec Lui, s'ils deviennent purs (9) : l'affinité dans l'Esprit de sainteté.
(1) ftmâm ; litt"^ : où II en faisait les i< entéléchies » de leurs corps ; c'est le mot aristotélicien.
(2) Hallâj, ap. Solamî, ghalatât, f. 79^. La terminologie de ce passage est tirée de Nazzâm : « l'homme (l'esprit de), vivant par lui-même, et autonome, ya'j'iz li âfatî, est astreint par une déformation à Vimpuis- sance xi (Baghdàdî, farq, H9). L'impuissance, chez Nazzâm comme chez Hallàj, désigne le corps ; la déformation, le terme fixé à la vie ici-bas.
(3) Développé par Wâsitî et Nasrâbâdhî. Wâsitî est très explicite sur l'immatérialité du roûh (Baqlî, tafsîr, ms. Berliu, f. 198^, 210*).
(4) La création est une humiliation volontaire de la pensée divine, surtout la création de la matière; aussi Hasan Basrî méprise la création matérielle « parce que Dieu la méprise » {risâlah ap. Hdyah), tant que l'Esprit ne la transfigure pas. Le secret de la création, c'est que Dieu est humble. Dans cette relation entre le matériel et le charnel, on re- trouve ridée du péché originel d'Adam ; mais Bistâmî est le premier à la formuler explicitement {loqmali).
(5) Sol. 25.
(6) Sol. 99-100.
(7) Sol. 181. Théorie déformée par Wâsitî, « esprits, affranchis de l'avilissement du fiai » (Baqlî, ta/sîr, ms. Berlin, f. 210'').
(8) Intibâ' al Huqq, note Ibn Bâboûyeh.
(9) Investiture, symétrique de l'acceptation par Adam du faix de
486 CHAPITRE XI
Comment s'opère la purification de l'homme en son cœur ? Al Hallàj conserve le vocabulaire des précédents mystiques, qui, absorbés parleur effort ascétique, subdivisent (1) et morcellent le cœur en « emboîtements » successifs, au risque de le confondre et de le détruire avec ses «. voiles », en vou- lant atteindre, au delà, Dieu. A.1 Hîillâj maintient et développe la donnée coranique que le cœur est l'organe préparé par Dieu pour la contem!)lation (2). La fonction ne peut s'exercer sans l'organe. Si donc il mentionne les enveloppes succes- sives du conir (3), c'est sans s'arrêter à ces repères qui mesu- rent (4) les progrès de la purification intérieure. Et, au terme, il proclame que l'union mystique est réelle ; bien loin d'être cette disparition totale du cœur, demandée en vain à Dieu parBistâmî, elle en est la résurrection sanctifiante : le renon- cement total du cœur aboutit à son immortalisation par Dieu.
Al Hallâj a tenté de décrire celte dernière opération ; l'ul- time enveloppe du cœur, au dedans de la iiafs, appétit concu- piscible, c'est lesirr, personnalité latente, conscience impli- cite, subconscient profond, cellule secrète murée à toute créature (5), « vierge inviolée ■» (6).
Vamânah (cfr. ici, p. 479). Non pas éruranation divine (Ibn al Qârih) : Hallâj, comme Nibâjî, discerne parfaitement le roîî^ créé du Roûh divin (Sarràj, loma\ 22-2).
(1) "Alâ al Dawlah distinguera si'pt enveloppes successives, dont les couleurs sont visibles pour l'extatique (l^Ieischer, ZDMG, XVI, 235),
(2) Suprà, p. 477.
(3) Qalb, jannah, lobb, latïfah, iam-i/loq (Baqlî, Shath. 162''). Le sirr, siège du taivhid {ishârah), est emboîté dans le qalh, siège du ma'rifnk Çihdrah) ; de l'un à l'autre le Ronh s'écoule, par les anfâs (cfr. Akbb. 34-35 ; Baqlî, /. c, f. 15 1'').
(4) La nafs correspond aux nghtiyah, le qalb aux akinnah qu'ouvrent les nnwdr, le roiih aux hojob qu'ouvrent les adhkâr, le sirr aux aqfâl qu'ouvre la qorb (ap. Sol. XXIV, 37).
(5) Il faut agir préalablement pour noîis communiquer nos pensées.
(6) « Asrâroiiâ bih'5, là yafladdohâ wahm ivâhiml » (ap. Sarrâj,
THÉOLOGIE MYSTIQUE 487
Tant que Dieu n'a pas visité le çin-, Ja personnalité latente de rtiomme reste in forme : c' est la. sarîrak(\), sorte de « pro- nom personnel » incertain, de « je » provisoire: annî^ an- ntyah ; hoivl, howlyah (2) : une heccéité , une illéité.
Lorsque l'homme accepte de renoncer à cette ultime enve- loppe du cœur, Dieu la féconde*, y fait pénétrer le damir (3), sa personnalité explicite définitive, son c pronom personnel » légitime, le droit de dire a Je » : droit qui unit le saint à la source même de la parole divine, à son ^< fiât ».
Je n'indique qu'en passant sa théorie des trois tawaffl (4) du sommeil, de la mort et de l'ascension spirituelle. Em- pruntée à son maître Sahl, elle établit : d'abord à l'encontre de Tévolulionnisme de Râzî, qu'il n'y a pas tanâsokh, mé- tempsycose, entre les animaux et les hommes (5). Ensuite, que l'âme séparée peut être confrontée à Dieu directement (6) . Ce que Nazzàm, le premier en Islam, avait soutenu par sa
lomn\ 231 ; comp. au contraire l'image cynique d' 'Allâf, ap. WZKM^ IV, 221). (f asrâr khdfiyah, abkdr ma iftaddnhâ khâtlr ffaqqi qatt » (ap. Solamî, in Qor. LXXIV, 52).
(1) Gfr. ap. Solamî, iabaqât (vers Mawâjid Haqqî).
(2) Gfr. Taw. 162, 204 ; corr. Taw. 165.
(3) Dieu est le Sirr a/ sirr, i)a/nyr rtZ ^am^V. Cfr. Td^v. III, 11, IX, 2; et ici, p. 526.
(4) In Qor. XL, 67 ; XXV, 22 ; LXXIV, 31. Gfr, Tostarî, tafslr, 123- 124 : en fait les trois degrés de la maîtrise croissante du roiî/j lumineux, qui ne vit que du dhikr (louange divine), sur la nafs de la matière charnelle, qui ne voudrait que manger et boire. Tostarî affirme la pri- mauté effective du roûh sur la nafs, contre Mobarrad, qui croit que tous deux meurent avec le corps (cfr. suprà, p. 483, n. 1).
(o) Ce n'est pas le même ange qui recueille leurs âmes (Sol. 103) : contre Mâlik (Haytamî, fatâwâ hadUhiyah, 3) et Bâqillânî (Hazm, IV, 216).
(6) G'est la noqlah, transfert (Tostarî, /. c. Jonayd, ap. Sha'râwî, latâ'if, I, 126). Pas au sens qarmate et druze, qui fait de ce transfert le passage d'une âme d'un homme à un autre {Mo'hz,mo)idjât) ; ne sa- chant où loger les âmes séparées (cfr. ici, p. 488, n. 1).
488 CHAPITRE XI
théorie du « bond », tafrah (1). Les âmes séparées ne sont pas astreintes à passer par B, C, D..., pour aller de A à Z, mais ravies devant Dieu directement (2) :
« Spatialisé {haykaiï) quanta la pulpe, — Lumineux quant au noyau, Eternel quant à la sève vitale, — Doué de jugement et de science, L'homme (qui meurt) rejoint par l'Esprit, ceux (= les élus) en qui 11 réside ; Tandis que le corps gît, en la terre, pourriture » (3).
lïl
La « science des cœurs ».
a) Les événements intérieurs de Vâme selon le Qofân.
Dieu, le créateur ikhâliq) immédiat de tous les événements qui caractérisent l'existence particulière d'un individu, l'au- teur de toutes ses actions (a mal), aussi bien au dehors (biens matériels) qu'au dedans (vertus, vices), en est aussi \?i provi- dence (râziq) ; Il les a créées d'avance pour chacun en un tout, et les lui distribue avec ordre, comme des lots préparés : ce sont les arzâq^ « provisions de voyage », les aksâb, ressour- ces, « gains » de chaque homme, qui entretiennent sa capa- cité d'action [qodrah).
Dieu, enfin, est Celui qui fait vivre et mourir [mohyiy momîl) : il fixe un début et une fin à ces arzâq, un terme précis : ajal mosammà : chiffre prévu, auquel la mort arrête et totalise les actions, telles que le Jugement dernier (4) les pèsera en sa balance, suivant la loi.
L'important est donc de pouvoir apprécier la qualification
(1) far(i, 124, 1. 3 seq., et f 5 seq. — Shahrast. 1, 71. Théorie scolas- tique classique pour les Anges.
(2) La pensée, déjà, saute d'un objet h l'autre sans transition. C'est la solution spiritualiste de l'antinomie des Eléates : « la flèche qui vole ».
(3) Hallàj, ap. Sohrawardî d'Alép (in Daoûwânî, Ibn 'Aqîlah).
(4) Qor. VI, 2.
THÉOLOGIE MYSTIQUE 4^9
légale des arzâq qui sont mis à notre disposition, utiles ou nuisibles, licites ou illicites, durant cette vie. Pour cela, rhomme doit avoir reçu et conserver certains arzâq préala- bles, en lui-môme, en son cœur: la /oi (1), d'abord, sans laquelle il est incapable d'effectuer cette appréciation, fiqh ; la mémoire de ces arzâq^ la science, '«7/?i, des notions révé- lées. Il doit rejeter de son cœur d'autres arzâq nuisibles, le penchant égoïste, hamm, zann, shakk, la suggestion sata- nique, waswasah (2), qui obscurcissent la vision de son cœur, le maintiennent dans l'ignorance, jahl^ l'empêchent d'écou- ter l'avertissement divin, 'ibrah (3), ilhâm (4), notifiant au croyant la qualification légale des arzâq qu'il reçoit, discer- nant le « bon )) du '< mauvais ».
Ces « ressources » intérieures de l'homme sont choses momentanées (5), adventices, inassimilables, comme les extérieures ; elles n'appartiennent à son cœur que par attri- bution arbitraire, tout au plus usufruit habituel, il n'y a pas naturellement droit.
En résumé, le Qor'àn fait du cœur le principe de la science et de la conscience (6) : comme rien ne v< retient » en lui la dissipation irréversible et irrémédiable de ses ressources (gestes, sensations), l'homme ne peut se ressaisir qu'au dedans de soi-même, en son taqlib, dans son cœur (7) ; ce
(1) Par emprise du dehors, Wahy (Qor. LXVIII, 1-2).
(2) Qui « circule » ea nous comme le sang (hadith célèbre ; Râghib pâshâ, safinah, 272). Sur fiqh, Qor. XVH, 46-47.
(3) Qor. III, Il ; XII, 111 ; LXXIX, 26.
(4) Yoix du bon ange, selon Kbafàjî [sharh al shifd, IV, 584).
(5) Dieu les change à son gré : hadîth « Va Moqallib al qoloûb ! »
(6) Lieu d'union sacramentelle entre le corps et l'âme, point d'inser- tion du spirituel dans le temporel.
(7) Au rebours des émotions charnelles qui ont leur contre-coup situé par tous les romans d'auteurs musulmans dans le foie et la bile (cfr. ici, p. 178 n. 2). — Qor. XXIV, 37.
490 CHAPITRE XI
continuel rebroiissement « surplace », cet incessant retour au temps 1 , lui donne un point de départ fixe pour la cons- truction de son unité mentale ; cette inversion de sens per- pétuellement réalisée lui sonne le rythme qui mesure, avec sa respiration, son temps ; lui déroule la trame historique oi^i tisser son dessein personnel, l'étoffe de sa vie consciente. Le cœur, selon les données coraniques, retient (yadhkor)^ connaît [i/a^qïl] et accepte {^orf) directement les notions qui lui sont communiquées, sans qu'aucune distinction bien nette apparaisse entre des x facultés » (1). Il y en a seule- ment une ébauche à propos des résultats des « maladies » qui allèrent l'acte de foi : manque de la mémoire (ghaflah, opp. : dhikr), erreur de l'intelligence (shir/i'^ opp. : taivhid)^ dupli- cité de la volonté [riyâ, opp. : ikhlh) (2). Ce qu'on peut dire, c'est que le Qor'ân pose le problème fondamental de la « science des cœurs », la purification de l'acte de foi (3).
b) Les théories contemporaines.
Les Khârijites, suivis en cela par Jahm d'une part, et par les Zâhirites, et de nombreux mohaddithoûn de l'autre, — considèrent que la « science des cœurs » est incertaine et inutile. Les qualifications légales s'appliquant uniquement aux gestes externes du corps, aux conséquences sociales de nos actes, — il suffit d'étudier nos arz4q du dehors, selon le témoignage de nos sens (prière vocale, jeûne, infractions ou aveux publics). Car, pour les arzâg intérieurs (du cœur :
(1) Les actes sont constamment désignés par des verbes sous forme personnelle, non par des noms d'action.
(2) Maladies du dhikr : haicà, fitnah ; du fikr : makr, wahm ; de la niyah : shakk, ra'l.
{3) Traité par Hasan Basrî (ap. Tirmidhî, 'ilal, 162* ; cfr. les chapi- tres sur le « scrupule» matériel, chez des imâmites comme Tabatabâ'î, 'orwat wothqa, Bagdad, 1328, 331-363). Et Ibn 'lyàd (ap Tahânawî, s. V. KHLÂÇ).
THEOLOGIE MYSTIQUE ^gi
connaissances, vertus), Dieu, qui nous les concède et nous les retire à sa guise, comme les autres, et sans qu'ils nous transforment, — ne leur attache pas de qualifications légales précises dans le Qor'àn.
Cette théorie simpliste et commode fut contredite dès le début par les études expérimentales des grammairiens (! ) ; en enregistrant l'usage, ils constatèrent l'existence de deux séries différentes de verbes : verbes de sens^ afâl al hiss^ comme « voir, entendre » ; et verbes de cœur, af àl al qoloùb ; se divisant eux-mêmes en verbes d'opinion ou certitude [shakk iva yaqin) qui évaluent le degré de réalité do nos ac- tions, ™ et verbes conversifs ou factitifs [taJnvil iva tasyîr) (2) , qui instituent pour nos actions des changements de qualifi- cation, '( du dedans », hors du temps et de l'espace.
Et donc, puisque sans les ;< ressources » du cœur, l'homme est incapable d'évaluer (ou définir) et de qualifier (ou choisir) ses '< ressources » externes, — il doit, s'il veut obéir à la Loi, étudier d'abord ce qui se passe en son cœur. Telle est la théorie de Hodhayfah (-h 36/656) (3), que Hasan Basrî reprit et précisa.
Deux courants dominèrent, parmi les élèves de Hasan Basrî : les uns, les mdtazilites^ admettent bien la « science des cœurs », — mais en l'intellectualisant. Les principes de la religion, osoûl al din, sont les u actes des cœurs » (4), — étudiés comme les déterminations d'une raison laissée par Dieu absolument libre et sans entraves « au dedans ». Tandis que les modalités externes du culte, les gestes des membres
(1) Voir Howell, /. c. ; Ibn Malik, alfîyah, etc.
(2) Gomme « faire, instituer, appeler, nommer».
(3) Etudes des imperfections dans les actes du culte.
(4) A'màl al qoloûb (opp. aux a'mâl al jaivârih) selon 'Amr-ibn- 'Obayd (Goldziher, éd. du Mostaihiri, 109) et "Allâf (/arç, 110). Comp. la liste de leurs osoâl (Mas'oùdî, moroîcj, VI, 20) avec celles dos soùfis (Sarrâj, loma', 387).
492 CHAPITRE XI
(^prière, jeûne, etc.), n'en sont que les applications^ f oro{i\à\s-- cutables (1) et secondaires. Les moHazilites réduisent donc tous les « actes des cœurs >) au seul travail de la pensée ; dont : le but est la perception vide de l'Unité divine, taio- hid, — l'origine est la liberté laissée à l'intellect parla Justice divine, 'adi — , et le lieu est l'état de suspens [hayn) où la pensée se place dans l'alternative entre les deux motifs sw%- gérés, Â7«a/ira72. L'étude des deux A7?to' (2), ou suggestions instantanées, fut poussée très loin. Nazzâm, étudiant le dilemme de la délibération, suspend la pensée en équilibre entre la suggestion qui pousse à l'action, khâtïr iqdàm^ et celle qui en dissuade et retient, khâtirkaffi'à). Pour lui, d'ail- leurs, la pensée les domine et maîtrise tous deux. Bishr, moins convaincu de l'autonomie plénière de la pensée, attri- bue les deux khâtïr au démon.
L'autre groupe des élèves de Hasan Basri^ les mystiques (soûfis) (4), suivant l'action divine jusqu'au fond même de leur travail de pensée, revisèrent le vocabulaire mo'tazilite. Le dilemme de la délibération se pose chez eux comme l'al- ternative morale entre le « premier mouvement » et le « second ». Lequel des deux faut-il suivre (5) ? Jonayd, pen- sant à la prémotion de la grâce, dit que l'on doit suivre tou- jours le premier mouvement ; Ibn'Atâ, par humilité et défiance de la chair, dit : le second, car la grâce divine ne
(1) Car ils ne sont pas libres, dépendent au detiors, de Dieu et d'autrui.
(±) PI. khaivdjir, syn. hâjis, qâdih, lammah. Provenant de Dieu ou d'un bon ange, ilhdni ; du démon, ivaswasah, ou de l'égoïsme de l'âme elle-même, hadîth al nafs ; de la raison (cfr. Sohrawardî, 'mvârif, IV, 184 seq. ; Kîlànî, ghonyah, I, 89-90 ; Makkî, qoîit, I, 129). Les mo'ta- zilite.s niaient l'efficacité de la ivaswasah, et la possession (Nasafl, bahr al kalâm, 63). Cfr. Aswârî, ap. Shahr. I. 74.
(3) Ap Ash'arî, ms. Paris, 1453, f. 145»' ; cfr. Akhb. ,34-35. Sh. 1,68.
(4) Voir Essai.
(5) Gela prouve bien qu'ils n'étaient pas arrivés à l'union mystique.
THEOLOGIE MYSTIQUE 493
se détruit pas elle-même, — mais a augmenté de force lors- qu'elle nous présente le « second mouvement » après le « pre- mier ». Ibn Khafîf, par occasionnalisme, dira que les deux kliâtir opposés, venant tous deux de Dieu, sont également acceptables. Al Hallàj le premier, rejetant la position mo'ta- zilite du dilemme, dit que la grâce quand elle nous a sancti- fiés ne nous place plus dans l'alternative, — et que le khàtïr ai Haqq, la « suggestion véridique », se présente sans contre- poids à la pensée : « c'est celle devant laquelle aucun doute ne s'élève ». « Dieu protège la conscience du sage, afin que seule la suggestion véridique y soit conçue, yasnah fîhi » [\). Les mystiques, d'ailleurs, constatèrent que, contrairement à la thèse fondamentale des motakallimoûn, énonçant que tous les arzâq étant des « accidents », sont instantanés et ne durent pas (2), certaines suggestions persistaient et duraient. Ils appelèrent le khâtir qui persiste, qasd,\mi^ — faidah, avis profitable (3), — latîfah^ grâce. Ils se trouvèrent ainsi amenés à définir certains « étals » psychologiques perma- nents, ahwâl (sing. hâl) : des stades, karrâl, — des stations, maqâmât^ périodes parfois assez longues où l'action répétée des mêmes suggestions transforme, de façon passagère ou définitive, le cœur du croyant. C'est la question des « con- naissances •), des « vertus », des « dons » personnels à tel ou tel : n(/a, taslîm (ou tawakkol)^ sahr (4); khawfy hayâ ; ivara\ faqr^ hozn^ ghorhah, balà^ hobb (5).
(1) Ap. Sol. tabaqâl ; Qosh. 167 ; et in Qor. L, 36.
(2) Cfr. infrà.
(3) PI. fawaid : syn. ivâridât.
(4) Telles sont les trois premières bases de la Sonnah selon Ibn' 'Oyaynalî, Wàqidî et Ibn 'Okkàshah, — et d'après Ibn Hanba! (ap. Ma- latî, tanbih, f. 28, '29, 368, 374). Gholâm Kbalîl dit : ikhlâ^, rida, sabr (ap. sharh al sonnah, ms. majm. Zah, 13) ; Mohàsibî préférait : sabr, rida, shokr (wasâijâ, f. 2'') .
(5) Cfr. Essai. Jonayd eu adinet huit : sakhA, rida, sabr, ishârah, ghorbah. labs al soùf, siyâhah, faqr (Hojwîrî, kashf, 39).
494
GHAPITtlE Xî
Réagissant contre l'influence mo'tazilite qui leur avait fait considérer au début les ahwâi comme de simples « ressour- ces » adventices, surajoutées au cœur du dehors (1), — les soLifîs établirent, avec Mohâsibî, qu'ils y étaient insinués du dedans par une inspiration divine (i), pour transfigurer réellement le cœur (tasarrof), en transformant chacun de ses actes, dirigeant leur genèse elle-même (3). Il s'ensuivait que ces a ahwâl » étant des moyens divins employés par la grâce, à son heure, pour agir sur les cœurs, le but final d'une règle de vie mystique ne pouvait être la possession spéciale de tel ou tel état, mais une disposition générale du cœur à rester malléable, constamment, à travers la succession de ces états (4) ; qu'il ne fallait pas s'attarder à comparer leurs mérites respectifs, ni à s'attacher comme à une fin à tel ou tel de ces moyens de la grâce.
c) Doctrine hallagienne : le shâhid.
C'est ce qu'ai Hallâj affirme et développe avec insistance. Fidèle aux données coraniques, — il sépare fortement l'ac- tion divine elle-même des prises diverses qu'elle exerce sur le cœur. Il ne refuse pas à priori^ comme Jonayd et les mo- takallimoûn, toute réalité aux « états » mystiques (5) ; il admet qu'il peut être utile au débutant de les considérer, —
(1) Conquises à force d'ascèse.
{i) Méthode de causalité appliquée là, comme en médecine, alchimie, logique, à la même époque (cfr. tiojwîrî, kashf, ms. Paris, Supp. pers. 1086, f. 99^).
(3) Genèse de l'acte selon Tostarî : hâjis (= nîyah), hamm, 'azm, irâdah, qasd (Ibn 'Arabî, foloûlidt, I, 238) ; Allah qiblat al nîyah, al riîyah qiblat al qalb, al qalb qiblat al badan (Sh. I, 76) ; selon Makkî {goût, I, 127) : himmah, khatrah, waswasah, nîyah, 'aqd (isrâr), 'azm, sa'â ; selon Ghazâlî {ihyd, III, 31) : kliûtir, mayl al tab', 'aqd (i'tiqâd), qasd.
(4) Mohâsibî, wasâyâ, ms. Londres Or. 7900, f. 2^.
(5) Cfr. ici, p. 60.
THEOLOGIE MYSTIQUE
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'^'îittaii
fessft
mais il lui interdit de se complaire en leur beauté, car ils ne lui appartiennent pas; ce sont des étapes transitoires, dos moyens de la grâce, non pas la source même de la grâce. Il préfère ne retenir de ces états que les grâces actuelles renou- velées qui les font durer, les touches divines, tawâli', bawâdl; il les appelle dawal, « appels » (de Dieu), shawâhid (1), « attestations » incessantes qui sollicitent le cœur à passer outre, à aspirer à Dieu par des aspirations, arwâh, anfâs \ en se dépouillant de ces états eux-mêmes, en se dénudant de plus en plus, pour joindre Dieu qui est là et qui l'appelle.
L'important pour lui n'est donc pas de s'attarder aux états mystiques, ni aux transformations sensibles qu'ils opèrent en nous, mais de se mettre au pas de leur rythme, pour marcher au travers, sans arrêt, « sans dévier » (2), jusqu'à Dieu seul.
Se détacher des œuvres que l'on fait, pour s'attacher à Celui pour qui on les fait (3) ; aller des vertus qu'on reçoit à Celui qui les donne. Il applique celte doctrine avec grande fermeté, notamment pour l'extase, wajd, phénomène com- plexe. Il se refuse à goûter une secrète délectation de l'àme, un rêve solitaire, un loisir d'aimer Dieu hors de la vie réelle. Il estime que le ravissement, istiiâm, est une purification et non une destruction de la mémoire (4) ; que l'illumination, tajalli, est une transfiguration (5) et non un slupéfiement aveuglant de l'intelligence; que la ligature, idtirâi\ est un exaucement et non une désorienlation (6) de la volonté.
(1) Oa shohoûd ; sg. shdhii. Le mot est coranique (XII, 26 ; XLVI, 9) ; vise une fois Gabriel et trois fois Mohammad. En grain maire, s/jri/iirf c'est l'exemple catégorique, qui fait consluler la règle (opp. mithâl).
[±) Là ta'roj (Ne dévie pas).
(3) Sol. tabaqât : al Ma'moùl laho.
(4) (^loutre Fàris (cfr. ici, p 337, n. 7) qui minimise cette donnée.
(5) Allern.int avec dL»3 moments d'obscurité, l'i^ùdr ; par éducation progressive (tarbiyah) (cfr. ici, p. 123).
(6) Gomme Vibâhah suspecte, prèchée par d'autres (cfr. Malati,
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CHAPITRE -<
Rëagissant contre rinfluenoc moi/.ilile qui leur avait fait coiisid«irer au début les ah uà i coime de simples « ressour- ces « adventices, surajoutées au coir du dehors (<), — les çoûfls établirent, avec MohAsibl, quN \ étaient insinués du dedans par une inspiration diNÎ; pour transfigurer
réellfuient leccrur (tasarro/ , en h iiant chacun de ses
actes, dirigeant leur genèse elle-in . Il s'ensuivait que
ces «. ahwAl .. étant desnioyensdivinnnpjoyéspar la grâce, ù son heure, pour agir sur les cœursh» luil final d une règle de vie mystique ne pouvait ^tre la p4sr>sion spéciale de tel ou tel état, mais une disposition g^érale du cœur à rester malléable, conslammont. à trav- ; " -uccession de ces ••lais |i; qu'il m» fallait pas shIIjh i à comparer leurs mérites respechfs. ni ii s'attacher < ♦ . . . une lin à lel ou tel de ces moyens do la crAce.
c; JJoctriiie hallagifU!^ (tud.
C'est ce qu'ai llallàj affirme et dé\juppe avec insistance. Fidèle aux données coraniques, — ifépare fortement l'ac- tion ili\ine elle mémo des prises diveses qu'elle exerce sur le ccpur. Il ne refuse pas à pnon, coime Jonayd et les mo- takaUtmoùn, toute réalité aux « étal mystiques (5); il admet qu'il peut être utile au ilébutande les considérer, —
(1) Conquise» à force d'ascèse.
(i) Méthode de causalité appliquée IÀ,comeen médecioe, alchimie, juc. à la même époque (cfr. Iloj^trl, katf, ms. Paris, Supp. pers.
luMi. f. im*).
1 3) Genèse de l'acte selon Tostari : hâjis tr nfyah), hamni. azm, irAdah. qasd (Ibn 'Arahl. fotoùhdl, I, Ï3H) ; illah qiblal al niyah, al nfyah qihiat al qalb. al qalb qihial al hr ' • ' I, 76) ; scion Makkl [t/oùt, I, liT, : hiinronh. khalrah, wasv. h, "aqd (israr), 'awn,
sa'd ; selon Ghazâll {ihyd, lll, 31) : khà|ir, ayl al tab', aqd ^itiq^d), qasd.
(4) MohAsil)!, tcasâyd. ms. I ondres Or. 790Cf. i*.
(5) Cfr. ici, p. 60.
mais il lui interdit de se rom!>|!re en leur beauté, car ils ne lui appartiennent pa~ <\es étapes transitoires, des
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494 CHAPITRE XI
Réagissant contre l'influence mo'tazilite qui leur avait fait considérer au début les ahiv ai comme de simples « ressour- ces » adventices, surajoutées au cœur du dehors (1), — les soûfîs établirent, avec Mohâsibî, qu'ils y étaient insinués du dedans par une inspiration divine (i), pour transfigurer réellement le cœur (tasarrof)^ en transformant chacun de ses actes, dirigeant leur genèse elle-même (3). Il s'ensuivait que ces a ahwâl » étant des moyens divins employés par la grâce, à son heure, pour agir sur les cœurs, le but final d'une règle de vie mystique ne pouvait être la possession spéciale de tel ou tel état, mais une disposition générale du cœur à rester malléable, constamment, à travers la succession de ces états (4) ; qu'il ne fallait pas s'attarder à comparer leurs mérites respectifs, ni à s'attacher comme à une fin h tel ou tel de ces moyens de la grâce.
c) Doctrine hallagienne : le shâhid.
C'est ce qu'ai Hallâj affirme et développe avec insistance. Fidèle aux données coraniques, — il sépare fortement l'ac- tion divine elle-même des prises diverses qu'elle exerce sur le cœur. 11 ne refuse pas àprïorï^ comme Jonayd et les mo- takallimoûn, toute réalité aux « états » mystiques (5) ; il admet qu'il peut être utile au débutant de les considérer, —
(1) Conquises à force d'ascèse.
(:i) Méthode de causalité appliquée lîl, comme en médecine, alchimie, logique, à la même époque (cfr, Hojwîrî, kashf, ms. Paris, Supp. pers. 1086, f. 99a).
(3) Genèse de l'acte selon Tostarî ; hûjis {= nîyah), liamm, 'azm, irâdah, qasd (Ibn 'Arabî, foloûhât, I, 238) ; Allah qiblat al nîyah, al riîyah qiblat al qalb, al qalb qiblat al badan (Sh. I, 76) ; selon Makkî {qoût, I, 127) : himmah, khatrah, waswasah, nîyah, 'aqd (isrâr), 'azm, sa'â ; selon Giiazâlî {ihyâ, lll, 31) : kliûtir, mayl al tab', 'aqd (i'tiqâd), qasd.
(4) Mohâsibî, wasâtjâ, ms. Londres Or. 7900, f. 2^.
(5) Cfr. ici, p. 60.
THÉOLOGIE MYSTIQUE AqB
mais il lui interdit de se complaire en leur beauté, car ils ne lui appartiennent pas; ce sont des étapes transitoires, des moyens de la grâce, non pas la source même de la grâce. 11 préfère ne retenir de ces états que les grâces actuelles renou- velées qui les font durer, les touches divines, lawâli\ bawâdi\ il les appelle dawai, « appels » (de Dieu), shawâhid (1), « attestations » incessantes qui sollicitent le cœur à passer outre, à aspirer à Dieu par des aspirations, arwâh, anfâs \ en se dépouillant de ces états eux-mêmes, en se dénudant de plus en plus, pour joindre Dieu qui est là et qui l'appelle.
L'important pour lui n'est donc pas de s'attarder aux états mystiques, ni aux transformations sensibles qu'ils opèrent en nous, mais de se mettre au pas de leur rythme, pour marcher au travers, sans arrêt, « sans dévier » (2), jusqu'à Dieu seul.
Se détacher des œuvres que l'on fait, pour s'attacher à Celui pour qui on les fait (3) ; aller des vertus quon reçoit à Celui qui les donne. Il applique cette doctrine avec grande fermeté, notamment pour l'extase, ivajd, phénomène com- plexe. Il se refuse à goûter une secrète délectation de l'âme, un rêve solitaire, un loisir d'aimer Dieu hors de la vie réelle. Il estime que le ravissement, isti/âm, est une purification et non une destruction de la mémoire (4) ; que l'illumination, tajalli, est une transfiguration (5) et non un stupéfiement aveuglant de l'intelligence; que la ligature, idtirâr^ est un exaucement et non une désorienlation (6) de la volonté.
(1) Oashohoûd ; sg. shàhid. Le înot est coraniqac (XII, 26 ; XLVI, 9) ; vise une fois Gabriel et trois fois Mohammad. En ^vaminàivc, shnhid c'est l'exemple catégorique, qui fait consltiler la règle (opp. mithàl).
(2) Là ta'rnj (Ne dévie pas).
(3) Sol. tabaqât : al Ma'moùl laho.
(4) (ioatre Fâris (cfr. ici, p 337, n. 7) qui minimise cette donnée.
(5) Alternant avec das moments d'obscurité, tiii/dr ; par éducation progressive (iarbiyah) (cfr. ici, p. 123).
(6) Gomme Vibâhah suspecte, prêchée par d'autres (cfr. Malatî,
496 CHAPITRE XI
Mais, au fond de loiite exlase, comme de toute action, il ne veut voir que Celui pour qui il est lié[\), qui extasie^ ma?} fî'l wajdi Mawjoûd (2) ; — Dieu, qui, d'extase en extase, ne cesse de le rapprocher de Lui.
Voici ce qu'il dit des dawâ'i., appels divins (3) :
(' L'appel de la foi (îmân) appelle à marcher droit. L'appel de la soumission à la loi [islam) appelle à se donner. L'appel du bienfait gratuit [ihsân) appelle à la contemplation.
(( L'appel de l'entendement [fahm) appelle à regarder davantage (4). L'appel de la raison ['aql) appelle à goûter. L'appel de la science ['ilm) appelle à écouter. L'appel de la sagesse [ma^nfah] appelle à la détente et à la paix. L'appel de l'âme (?îfif/>) appelle à servir Dieu. L'appel de l'abandon à Dieu [tawakkol] appelle à avoir confiance. L'appel delà crainte (khawf) appelle à trembler. L'appel de l'espoir [raja) ap- pelle à se pacifier [toma ninah) .
« L'appel de l'amour [inahabhah) appelle au désir (^^â!^^^^), l'appel du désir au ravissement [walah), et l'appel du ravis- sement appelle en Dieu [Allah) ! (5). Quanta ceux qui ne ressentent pas d'incitation intérieure répondant à cet appel, — leur attente sera frustrée ; ils perdent leur temps dans les déserts de l'égarement : ce sont ceux dont Dieu ne fait pas cas. »
tanbîh tva radd... : extr. de Khashîsh al Nisâ'î(+ 253/867), isiiqâmah wa radd..., s. \. Boûliamijoûn).
(1) Baqlî, in Qor. x'xVIl, 63. Cfr. Sol. in Qor. X, 33.
(2) Ms. Londres 888, f. 327\
(3) Ap. So\&mi, jawâmi', ms. Laléli, f. 167^-''.
4) La ziyâdah, c'est la vision béatifique (cfr. in/rà, chap. XII-iv). (5) C'est une mise au point dynamique et un regroupement du sym- bole attribué à l'imâm Ja'far (Baqlî, tn/sîr, ms. Berlin, f" 272^) et imité par Ibn "Atâ, des Ail mansions zodiacales parcourues par le cœur gra- vitant autour de la vision de Dieu, qui reste inaccessible : 'îmân, ma'rifah, 'ar/l, nafs, islam, ihsd)i, taivakkol, khatrf, rajâ., mohabbah , shawg, walali (fihâ salâh al nafs) (cfr. Ibn 'Âtâ, ap. Baqlî, id., f. 2G5»).
THÉOLOGIE MYSTIQUE ^97
La doctrine d'al Hallâj sur les shawâhid, preuves divines, et les arwâh, aspirations divines, — a suscité des discussions qu'il faut examiner.
11 s'agit ici, en eiïet, de surprendre, sous V « état » mysti- que, sous toute grâce conférée, le secret mouvement divin qui l'anime, le battement perpétuel d'amour qui en est l'es- sence et la source: mouvement à deux temps, sfiâhicl, la preuve d'amour, venant de Dieu au cœur, et rot/A, l'aspira- tion, revenant du cœur à Dieu. Sont-ce là choses créées?
Aboû'Amr al Dimishqî (+ 320/932) (1 ) dénonça aux /b^«//a l'opinion de certains contemporains, partisans de cette ter- minologie hallagienne (2), enseignant que shaivâhid el anvâh étaient prééternelles (taqaddom)^ donc incréées.
De fait, ces termes nous mènent au seuil de la consomma- tion de l'union transformante, dans la doctrine d'al llallàj. Et ses œuvres en prose (3), et surtout en vers (4), unissent, par une identification souvent totale, la personnalité défail-
(1) Ap. Ibn Fadl Allah, masâlik, t. VII, s. v. — Solamî le suit en ses ghalafdl, f. 77^ : ne pas confondre l'omnipotence divine avec ses mani- festations.
(2) On les nomme qâ'iloûn bi'l shâhid (Qosha-yrî, risâlah 217 (pénult.).
(3) Cfr. suprà, p. 258, 298. J'ai tantôt traduit par « témoignages », tantôt par « témoins » ou « grâces » (textes d'Ibn Ghâlib, de Hamd). La récension atténuée de la prière de la dernière veillée exténue volontai- rement le mot < shâhid » — labs shaivâhid al Haqq (inSol.tafs. LXIV, 3 : cfr. XIX, 57, XXXYI, 82 {natah avec Dieu) : LXVIII, 4 ; XXXIII, 72 ; LXXXIV, 52 ; LXXXII, 8 ; Taw. III, 11). Taw. 192, 1. 2 ; Shath. f . 127.
(4) Cfr. Lam yatqa (noùnî>|'ah, 3" vers), Na'mal i'dnati (hâ'iyah, 4» vers). Et ici, p. 524 : A anin am ana'... Rappelons les deux recen- sions du premier vers récité à la dernière veillée (cfr. suprà, p. 298) : warâ'al hashâbili awfà shâhidïlqidami, « au delà des générations, en fidèle Témoin de l'Eternité (uni à l'Eternel) » : et flmâ waraal haylhi yulqàshâhida' Iqidami {SdiTrkjJoma'.'^AH), dans l'au-delà du «jusqu'à »,
il rejoint le « Témoin de l'Eternité» (deuxième hémistiche).
32
CHAPITRE XI
lante et créée du saint (1), avec cette « Preuve d'amour » et cette « Aspiration d'amour » préméditées pour lui et réalisées en lui par l'éternel Aimé.
IV
Les conclusions : les degrés de la présence divine dans l'âme et l'union transformante.
a) Les données coraniques ^itilisées.
Le Qor'ân marque très fortement l'hiatus incommensu- rable qui sépare la créature humaine de l'essence divine ; il dénonce en particulier l'illusion impie de certains Israélites et de certains Chrétiens (2) qui croient Dieu obligé de sauver certaines familles humaines en bloc, et il rejette leur théorie par trop rassurante de ï adoption charnelle (3), par laquelle Dieu serait ienu à priori de choyer comme ses propres lils les enfants, circoncis ou baptisés, des parents qui ont cru en Lui (4) ; l'élection, en réalité, est une intention particulière prééternelle, un privilège personnel, intransmissible (5). Mais, quoi qu'on en ait dit, l'idée d'une union mystique,
(i) Il devient le Témoiqîiptuel de pieu, shâhidâni{dv. suprà, p. 297). Fàris est le seul à le suivre en cela. Wâsitî nie que Dieu soit vraiment témoignab|e, uiaskhoûd, pc^r une créature particulière (Baqlî, in Qor. U, 26, LXXXV, 3). Cfr. Ib^ Yn?da«yâr (ap. Qosh. 167, en bas).
(2) Qor. IX, 30, XIX, 90-93, etc. Comp, avec XXXIIl, 40.
(3) lHikhàdh al ibn, adoptianismo charnel (fils) : opp. à itUkhddh al khalVy adoption en l'Es^prit (ami), çfr. Qor. II, 132 (sibghah).
(4) C'est une impiété de dire Jésus fils de Dieu^arc^; que n fils de Marie » (croyante et vierge), selon la chair. Dieu ne peut « prendre » une personne humaine déjà existante pour fils ; mais pour ami [illi- khâdk : Qor. IV, 124), si ; et de toute éternité. Le Qor'àn ne considère pas en JésusJe mystère de l'union Uypostutique ; mais seulement la réalisation de l'union mystique ; et ce qu'il nie, c'est qu'elle dépende d'uije adoption divine se/ow la choir (Coinp. Qor XLlll, 81 à LXX11,3), cfr. Gen. XVU, 21 ; XXI, IQ.
(5) Comme l'âme.
THÉOLOGIE MYSTIQUE ^99
entre l'àme humaine et son Créateur, n'est pas entièrement absente du Qor'àn.
Dieu, qui est incessamment présent dans les choses maté- rielles par son acte essentiel de Créateur souverain [khàliq), par sa toule-puissance judiciaire (hâ/dm), et par sa science exhaustive Çâiim) (Qor. XXXIX, 47), — s'est plu à se ma- nifester également dans l'homme sous une autre modalité (I ) : en lui faisant part de son commandement («wr) par sa pa- role (Â-a/imah) , énoncée sous une forme articulée : attention particulière et spéciale de sa providence (?'âziq).
Cette modalité éminente de la présence divine, qui met l'homme à part des autres créatures, — c'est la communica- tion d'une ;;«ro/e (2) : premier renouvellement (3), intelligi- ble cette fois, de l'impulsion créatrice, /ion ! suggestion de foi traversant le cœur comme un éclair ; Dieu l'y fait jaillir, soudaine, intense, irrécusable et brève : comme l'étincelle tirée d'un silex qu'on choque.
Si, pour la plupart des cœurs humains, la Visitation de la parole divine, celte illumination victorieuse qui déclenche la foi, reste un phénomène sans lendemain, un miracle ins- tantané, une grâce actuelle, — qui n'interrompt que pour un moment l'inconstance des oscillations du cœur, l'inco- hérence de ses désirs (4) ; — si, chez la plupart des hommes, enclins au mensonge, il y a généralement contradiction, divorce, entre la langue et le cœur, entre les mots extérieurs que Dieu laisse articuler à leur langue, et les paroles inté- rieures que, par la foi, Dieu dicte à leur cœur ; le Qor'ân fait
(1) Qui prépare la dernière modalité, la plus intime : celle de sa pré- sence en lui par la grâce.
(2) Constante dans le cas de Jésus,
(3) Le second sera la résurrection.
(4) Doctrine de Hodha^jfah (Hanbal,V, 395) : « le cœur est une main ouverte » (ap. Sobki, lY, 171).
500 CHAPITRE XI
entrevoir, au delà de la religion naturelle qu'il codifie, dans un clair obscur mystérieux, les vrais croyants, les élus immor- tellement vivants (1), ceux qui ont écouté et reçu la parole d'un cœur attentifet paisible, bon et parfait. « Bienheureux (toûbà lahom) ceux qui croient, et accomplissent les œuvres de miséricorde » (2). Leur foi n'est pas une mémoire morte de la grâce passée;, une froide intellection de rillumination qui n'est plus. Leur cœur, resté fidèle et consentant, se tient prêta recevoir de nouveau la Visitation divine, résolu qu'il est à répondre de bon gré à toute nouvelle incitation, cons- tamment docile au commandement divin éventuel. Ils restent constamment « rapprochés » de Dieu [moqarraboûn) (3) : aussi peuvent-ils transmettre à "autrui la Parole comme l'Ange lui-même, au nom de Dieu, « bismillah ».
Dieu, à qui « ils plaisent » (4) les fait participer, confidem- ment [inba), à Son mystère essentiel (al Gliayb) (5) ; mys- tère ignoré des Anges et de Mohammad, qui recommande instamment aux fidèles d'y croire, d'en avoir une crainte ré- vérente, khashyah^ du fond du cœur (6).
Cette pleine floraison de la présence divine dans l'homme par la grâce habituelle s'appelle dans le Qor'ân tomani- nah (7), pacification de l'âme, — ou rida, satisfaction (mu-
(1) m, 163.
(2) XIII, 28 : « alladhîna âmanoù', wa 'amaloû' al sâlihât » (clau- sule répétée cinquante fois dans le Qor'ân). « Toùba » est le mot des Béatitudes évangéliques (Ibn Qotaybah, mokhtalif, 262 ; Asin, logia D. Jesu, 20, 56, 57, 92).
(3) Qor. III, 40, IV, 170, etc. Et le fameux « là khawf 'alayhim wa là hora yahzanoùn » (II, 36 et dix autres versets). = afil al A'râf.
(4) LXXII, 26. 27 ; cfr. V, H9, LVII, 27, etc.
(5) XXYII, 66; VI, 59 ; et l'expression : 'âlim al Ghayb wa'l sha- hâdah.
(6) XXXIV, 13 ; VI, 50, VII, 188 (cfr. XI, 33) ; XI, 51 ; XXI, 50 ; XXXVI, 10 ; L, 32.
( 7) voir Qor'ân, sub radice « TMN ».
THÉOLOGIE MYSTIQUE 5oi
luelle, de Dieu et de l'âme). Il ne faut pas la confondre (1) avec la foi, 'imân^ qui en est la racine (2), — car tous les croyants n'ont pas celle plénitude de ferveur, ne retiennent pas cette permanence de la grâce en eux.
Le Qor'àn laisse même entendre (3) que ce n'est pas seule- ment la fidélité de la mémoire au texte, ni l'adhésion de l'in- telligence à l'idée qui disposent le croyant à goûler cet épa- nouissement de sa foi ; il lui faut s'asservir tout entier à une certaine discipline de vie, — se soumettre à un entraînement, exercer et assouplir sa volonté, la tenir en haleine, pour obéir de suite au commandement, dès qu'il l'entendra : rendre à Dieu un culte fervent.
Le lecteur attentif du Qor'ân retrouve là, comme un ru- diment du principe des ascèses hébraïque et chrétienne. Pour que la sagesse divine, qui s'est fait entendre intelligiblement dans le cœur, fasse d'un homme son interprèle, prenne en lui sa demeure, et puisse être exprimée sans déformation par sa langue, il faut que cet homme jeûne, veille el prie. Qu'il jeûne, d'abord (4) ; afin de parler désormais non de l'abon- dance du ventre (5), mais de l'abondance du cœur. Notre
(!) Ma'roûf Karkhî l'a bien notée cette différence. « Faire mémoire des saints procure la rahmah, faire mémoire du Seigneur procure la tomanînah » (ap. Hilyah, s. v.).
(2) Ni avec la sakînah qui est une sorte de protection extérieure, de sécurité garantie.
(3) IX, 72, XXII, 38, etc., versets sur les « mottaqîn».
(4) Ce qui lève du cœur les quatre voiles (Hasan, ap. Tirmidhî, 'ilal, 207-209).
(5) Cfr. critique de Hasan Basrî sur la taqiyah de l'imâm Bâqir : « Ceux qui font de la science un secret initiatique, le vent de leur ven- tre empuantira l'enfer pour ceux qui y entreront ! » (Tabarsî, ihlijâj, ■170. Cfr.Luc VI, 45, Matth. XV, 18). Cette image est reprise par Hallâj : « L'énonciation est comme un vomissement : al Hbârah qay' : comme pour le repas, c'est ce qui n'est pas bon (ou qui dépasse les forces) pour la nature qui est restitué » (ap.Kalâbâdhî, ta'arrof).ch'. Asin, Logia />. Jesu, n. 8 ; et biogr. de Marîsl in Tagrib.
50!} CHAPITTE XI
bouche, par où enlrent les alimenls, et par où sortent les paroles, n'est sincère que si nous l'avons maîtrisée dans ses ftppétits, par le jeûne. Il ne peut y avoir identité entre ce que Dieu fait entendre au cœur et ce que la langue humaine pro- fère que si l'appétit de la chair est parfaitement dompté. Pour dire la vérité, exprimer exactement la parole divine, il ne faut pas seulement une mémoire précise des mots, un jugement sensé de leurs acceptions, mais un contrôle sérieux et effectif des membres parla volonté : une discipline d'ascèse ^ qui, en dressant le corps (1), finit par contenir le cœur et ses élans.
Tel est le sens définitif de certaines prescriptions cultuel- les, obligatoires ou facultatives, de l'Islam primitif; jeûne annuel du mois de Ramadan [2) \ interdiction des boissons enivrantes [khamr] ; prières nocturnes [tahajjod).
Ni l'hygiène, ni la gymnastique, ni les tabous invoqués par d'ingénieux exégètes ne rendent complètement compte de ces règles de vie préconisées dès Mohammad ; certes, le but primordial de leur institution a été de sauvegarder pour le bien général la discipline extérieure du culte ; mais ils peuvent aussi disposer certains croyants à désirer vivre dans un état de paix, de grâce, avec Dieu : toma'nlnah (3), ridd(^) ; s'ils y sont appelés.
Comment arriver effectivement à cet état? Le Qor'ân n'a
(1) Tuer ce à quoi l'on tient le plus, ses parents idolâtres, soi-même (Qor. II, 51).
(2) Institué expressément en souvenir de la révélation du Qor'ân, L'unanimité des mystiques musulmans, anciens et modernes, pratique en outre le jeûne total des « 40 jours de solitude », khalwai al atba'in (Tostarî, ap. Sohrawardî, 'awârif, II, 165) pour obtenir la Sagesse (cfr. Jésus au désert de la Quarantaine Et Moïse : cfr. Kllânî, ap. bah/ah, 83). cfr. TawIII, I.
(3) Qor. I!. 262 ; III, 122 ; IV, 1()4' ; V, 113 ; VIII, 10 ; XIII, 28 ; XVI, 108 ; XVII, 97 ; XXII, 11.
(4) Qor. X, 7 ; LXXXIX, 27.
THÉOLOGIE MYSTIQUE 5o3
pas pour but d'enseigner les voies pour y atteindre. Il définit que seule, V assistance de l' Esprit [Saint), tayul alRoûh{al Qodos) (1 ), y amène ; et il fait dire à Moliammad, laconique- ment, que cette mission de l'Esprit auprès de certains est un fait surnaturel, un secret divin. « Dis: L'I^sprit procède du Commandement de Dieu » (2).
Cette réponse coranique célèbre n'est pas une manière d'éluder la question (3) ; elle établit qu'il y a, chez ces élus, connexion intime entre la pratique des Commandements et l'assistance de l'Esprit ; que l'Esprit seul peut transmettre intacte, de leur cœur à leurs lèvres, la parole divine.
Les récits du Qor'ân donnent un certain nombre d'exem- ples de cette « assistance de l'Esprit » ; tantôt extérieure, limitée à la transmission correcte d'avertissements prophé- tiques, tantôt intérieure, aussi étendue à tous les actes de la langue et du cœur. Le premier type est représenté par Adam^ à qui Dieu communique la « science des noms », — Moïse, et Mohammad,k qui Dieu dicte la loi d'obéissance (4) dans une suite d'événements parallèles, les deux visions (5), leur confirmation miraculeuse (6), elle u dilatement de la poi- trine » (7).
Le second type est représenté par Abraham, de qui Dieu fait son ami (8), — Job, al Khidr (le compagnon de Moïse),
(1) Qor. II, 81 , 254, V, 109 ; et IX, 40, LYIII, 22 où l'épithèfe qodos manque.
(2) Qor. XVII, 87 : on traduit souvent : « L'Esprit? C'est l'aiïairede Dieu. » Cette traduction est insuffisante.
(3) Comme l'a dit, par dérision, la risâlah d''Obaydallâh (Baghdâdî, farq, 281) sur les « Trois Imposteurs ».
(4) Qor XLII, 52.
(5) Qor. XX, 37 = LUI, 13.
(6) Qor. XX, 24 = LUI, 18 ; XVII, 1 (cfr. LXXIX, 20). cfr. suprà.
(7) Qor. XX, 26 = XCIV, \.
(8) Dieu, en demandant à Abraham d'immoler son fds « l'a trans-
5o/i CHAPITRE XI
et Jésus, le seul qui dialogue publiquement avec Dieu sur ses intentions, et parle à la première personne de sa vocation ( 1 ) , dans le Qor'ân. Nous verrons plus loin (2) comment les exégètes musulmans ont essayé de grouper ces exemples divers suivant une théorie cohérente.
Retenons donc du Qor'ân que : par là-même que Dieu a donné à l'homme le langage, et s'en est servi pour lui com- muniquer certains de ses commandements, — par là-même que le Qor'ân subsiste, attestant, à chaque musulman, la réalité de celte communication, il y a, en Islam, un rudiment de culte susceptible d'unir l'homme à Dieu : une psalmodie ; la récitation du Qor'ân.
b) Les solutions minimistes du problème.
Nous avons le devoir de constater ici qu'un très grand nombre de docteurs, tant sunnites que shî'ites, surtout parmi les jurisconsultes et les théologiens, se sont bornés à donner, pour le problème de l'accord entre la langue et le cœur, des solutions négatives; se contentant d'enseigner aux cœurs musulmans le culte d'une foi morte ; de saturer la mémoire d'un respect littéral, du texte des prescriptions légales quand ils étaient des jurisconsultes [foqahâ)^ de repaître l'intelli- gence d'évidences idéales, de définitions dogmatiques pure- ment virtuelles, quand ils étaient des théologiens \moiakal- lïmoûn).
Les théologiens mo'tazilites, avec un certain simplisme, considèrent qu'il suffit, pour mettre d'accord ipso facto son
porté hors de la condition charnelle, en une autre condition, par cette demande d'effacer de sa conscience tout autre amour que le Sien » (Wâsitî,ap. Baqiî, tafs. t. Il, p. 178).
(1) Baqil, lafûr de XIX, 34-V, 116 ; Hazm, III, 64-77 ; Ibn 'Arabî, fosoû$, 236-257 ; et fotoûhâl, IV, 215 ; III, 299, 311.
(2; Ici, chap. XII-v.
THÉOLOGIE MYSTIQUE 5o5
cœur avec sa langue, de faire libre usage de sa raison : sans assistance divine spéciale (1 ).
Les autres théologiens, comme les jurisconsultes, admet- tent que seule une intervention de la grâce permet cet ac- cord. Mais ils en font un miracle inintelligible, et que Dieu ne permet pas de scruter. Qu'il y ait des saints, dociles aux commandements, parfaitement perméables à la Parole di- vine, que leurs lèvres restituent telle que leurs cœurs la conçurent, soit; mais ce sont des cas aberrants, miracles occasionnels, coïncidences surnaturelles; des jeux du bon plaisir divin. Ils rappellent fortement que, puisqu'il n'y a pas d'enchaînement nécessaire entre causes secondes, il ne saurait y avoir de correspondance normale, naturelle, entre la langue et le cœur : l'homme est normalement menteur (2) ; le cœur, oscillant entre les doigts de Dieu, peut croire une chose, tandis que la langue en exprime une autre. Comme c'est Dieu seul qui déclenche, directement et séparément, l'audition dans le cœur (tasdiç), l'articulation sur la langue (iqrâ?') , et le geste dans les membres Çamai), — c'est pour Lui seul qu'une correspondance pourrait exister, entre ces trois séries distinctes d'actes , discontinue ou permanente (3). Les croyants n'ont donc pas à se tourmenter de rechercher un accord entre leur cœur et leur langue. Vaqd al qalh ou sakinah, soumission du cœur, coexistait chez le Prophète (4) avec les suggestions sataniques, waswasah, qui faisaient fourcher sa langue ; inversement les professions de foi exté- rieures de l'hypocrite n'enlèvent pas le voile opaque (5) qui
(1) d'où : ri'àyat al aslah lil 'aql, koll mojtahid mosîb.
(2) Il ne crée qu'une chose : le mensonge, ifk (Qor. XXIX, 16).
(3) Et que l'onénumère comme des parcelles indépendantes (Khas- lât} quand on définit l'acte de foi.
(4) Myâd, shifd, II, 88.
(5)fa6" (Ash'arî, ms. Paris, 1453, f. 96^) (cfr. suprà, p. 478). Celui
5o6 CHAPITRE XI
couvre son cœur. Aussi zàlii/iles el lianbaliles sont-ils d'ac- cord (1) pour condamner le vers fameux du poète chrétien GliiyàJh al Akhtal (+ 92/710), de la tribu de Taghlib : ^
Inna'l kalâma lafî'l foù'âd, wa'innamâ
Ja' ala'l lisâno 'alii'l foû'adi dalîla
« La parole, certes, est dans le eœur, — et certainement
la langue indique ce qu'on a dans le cœur » (2).
Cette solution négative du problème s'est montrée inopé- rante. Dans la giande crise sociale que Tislam naissant tra- versa entre la mort d"Othmân et la mort d"Alî, — les dis- sentiments et les guerres intestines ne provenaient ni d'un oubli du texte coranique, ni d'une inintelligence de ses prescriptions ; le corps social musulman souffrait d'un mal plus profond : sous l'union apparente des langues, il y avait la secrète désunion des cœurs (3) ; l'inconscience déloyale de cerlains croyants les poussait à mésuser hypocritement (4) des règles de vie coraniques. Et cette souffrance colleclive n'élait guérissable qu'en faisant appel à un chef inspiré (5), ou à des croyants sincères, qui interpréteraient la Parole di- vine avec l'intention même que Dieu veut qu'on y mette, hic et mine.
c) Les théories de l'union transformante.
La première théorie positive delà « divinisation » est celle
dont le cœur est « revoilé » par Dieu ne peut être mokhlis, selon 'Abd al wâhid-ibn-Zayd et Bakr.
(ijibnllazm, III, 218 219 ; et le tinnbalite Ibn Monajjâ (ap. Sau- vaire, JAl\ nov, 1894, p. 480). Pour eux, vouloir faire correspondre logiquement nos gestes aux pensées qui nous sont suggérées, c'est tom- ber dans le piège de la ruse divine {makr). Et vouloir régler nos pen- sées sur nos attitudes extérieures, c'est se duper soi-même {riyâalnafs).
(2)Gfr. Matth. XY, 18.
(3) Ruine du ta'lîf al qoloûb.
(4) Nifûq qu' 'Alî dut combattre (Shahrast. II, 25), « tandis que Moharnmad n'avait combattu que l'impiété avouée, shirk ».
(5) exégèse de Qor. XLIII, 27.
THEOLOGIE MYSTIQUE 5<^7
des fmdmife.<i ; convaincus que le quatrième Khalife, 'Alî, à travers les variations de sa p^oliliqne à l'égard des dissidents, avait été constamment guidé par une assistance surnaturelle, celle-là même que la communauté musulmane réclamait, pour discerner les hypocrites des gens sincères, — les Imâ- mites enseignent que l'assistance de l'Esprit saint (avec le droit de la conférer) est réservée h une lignée héréditaire de chefs non seulement infaillibles (^aV?^), mais impeccables (ismah). Gabriel en aurait averti Mohammad. « Nul ne peut « faire parvenir r Esprit » (1 ) que toi ou quelqu'un des tiens »; en suite de quoi Mohammad renonça à prendre Aboù Bakr pour successeur et choisit \Alî (2). Cette élection célèbre (3) est racontée dans le hadith al ghadir (4), où l'on voit 'Alî solennellement investi par Mohammad de la « la'dlyat Boûh al qodos ». Et chaque imâm en investira de même le successeur qu'il se choisit.
Muni de ce privilège, l'imàm peut communiquer le ta'yul al Boûh à qui il veut, parmi les simples croyants ; au moyen d'une formule de bénédiction spéciale. C'est ainsi que Salmân , simple affranchi, fut appelé par Mohammad à faire partie de « sa famille ^) (5) ; c'est ainsi qu'Hishàm, le premier théolo- gien imâmite, fut « confirmé » par une bénédiction du VP imâm, Ja'far (6).
Suivant les sectes, la schématisation théologique donnée
(1) Tadiyal al Roûh.
(2) Ibn al Nadîm, fihrisl, ap. Houtsma, WZKM, IV, 226.
(3) Dont rhistoricité, très discutée, n'est pas absolument controuvée (cfr. infrà, chap. XII-v).
(4) Admis par les sunnites Tabarî (H- 310/923 : radd 'alal J/orqoû- siyah : 75 sources) et Mas'oùd-ibn-Nâsir Sijistâni (dirâyat a h'idtth al ivitâyah » : iâO sources) (Kâshif al Ghitâ, 'ayn al mizân, Saïda, 1330,
p. 8).
(5) Salmân minnâ, ahl al B lyt (Ibn 'Arabî, fotoûhâl, I, 219).
(6) Houtsma, /. c. — Cfr. Mottaqî, kanz, V, 165 ; Fasys list, p. 233.
5o8
CHAPITRE XI
à ce dogme de la tà'dîyah (et du ta'yîd) a varié. Une première conslruction, celle des partisans de la précellence d'Alî (1), actuellement représentés par les Noseiris, peut se résumer ainsi. De la divinité [lâhoût), qui est le sens (ma'nà) ineffable de toutes les choses (2), émane un Esprit lumineux, un Nom (wm)(3), lequel, à certaines époques de l'histoire (4), descend se loger comme un germe caché (5), sous le voile (6) d'une personne humaine, d'un Précurseur (7). Ce Précurseur con- fère à certains initiés de marque, appelés les « Portes » [adivâb] {S), le don, non seulement de discerner, mais de prêcher cet Esprit ; puis, avant de mourir, — il leur fait reconnaître l'Elu de Dieu, l'Imâm où va reposer le Sens (mdnà), la plénitude de l'Esprit (9), dans une cérémonie d'investiture solennelle.
Une seconde construction, celle des partisans de la précel- lence de iMohammad(lO), actuellementreprésentésparles/^rw- zes^ fait état des mêmes étapes, mais au moyen de symboles plus abstraits : le Précurseur, identifié à la deuxième émana- tion,la Raison universelle (1 1), — dépasse en dignité l'Imâm, identifié à la troisième émanation, l'Ame universelle (12) ; car
(i) 'Olyâ'îyah, Ishâqiyah.
(2) C'est-à-dire : qui a seule qualité pour fixer le sens que nous devons attribuer à chaque événement.
(3) Syn. : roùli qodos, noùr shia'sha'ânî, noùr qâhir, nâsoùt.
(4) Cycles des zohoùr (Adhânî, BâkoûrahS^) = akivâr (Malatî, f.41).
(5) Taghyîb.
(6) Hijdb.
(7) Le mîm, syn. : noûr zolâraiyah, noùr maqhoûrah : Mohamniad.
(8) Salmân, par exemple.
(9) TamthUà wa tashkîlS, en image et en personne (Khasîbî, ap. Dus-» saud, Noseïris, 102).
(10) Fayyâdiyah, Isma'îliyah.
(11) Nâtiq, qâ'im, syn. 'aql Kollî, noùr sha'sha'ânî, koùnî (celui qui dit : « kon ! » fiât I). Cfr. Sacy, Druzes, II, 43, 54, 86 ; Arendonk, Zai- dietische Imamaat..., 305.
(12) As'as — syn. : nafs, nâsoùt, soùrah.
THÉOLOGIE MYSTIQUE SOQ
l'investiture (1) querimâmreçoit passivement du Précurseur est comparée à cette « seconde création » que l'initiateur imprime à l'âme obscure de l'initié (2).
Dans les deux cas, on remarquera les singjulières consé- quences pratiques de ce privilège arbitraire. L'Imàm, quelle que soit sa conduite, doit être obéi : il est divinisé à priori. Il n'a pas à scruter son propre cœur, et l'on n'a pas à sonder ses intentions. Tout ce qu'articule sa langue est sacré : lors- qu'il plaît à l'Imàm de dire autrement qu'il croit, l'adepte doit dire comme l'ininm a dit, tout en continuant à croire en son cœur comme l'Imam croit (3). La doctrine imâmite ne résout donc pas du tout le problème de l'accord à réaliser entre la langue et le cœur. L'inspiré, dans ses caprices mêmes, reste vénéré (4) comme le masque personnel où transpa- raît (5) l'arbitraire incompréhensible du Créateur.
Au moment même où les premiers Jmàmites élaboraient leur doctrine tliéologico-polilique, — certains sunnites pieux, consternés des discussions entre croyants, poursuivaient loyalement en eux-mêmes la solution du problème (réaliser l'accord entre leur langue elle cœur), — par le moyen d'une méditation plus profonde du seul signe d'union qui restât aux musulmans : le Qor'àn. Ils y trouvèrent les éléments ci- dessus énumérés (6) d'une règle de vie préalable, disposant tout croyant de bonne volonté (7) à recevoir l'inspiration divine en son cœur.
(1) Tafwîd, noqlah.
(5) Risâlah ddmighah (écrit druze réfutant les Noseïris).
(3) Licéité de la dissimulation, taqiyah.
(4) Ex. : Hâkim.
(5) Gomme un étui de matière subtile engainé dans un autre étui (catéchisme Noseïri de Wolff, quest. 6).
(6) Suprà, p. 490, 493.
(7) Et non pas le seul imàm, privilégié, ou ses amis (Hasan Basri sur Qor. XLII, 22, inBaqlî).
5lO CHAPITRE XI
On est accoutumé à ne voir, dans la primitive Sonnah.qu un ensemble de prescriptions rituelles relenues et pratiquées dans le but de se conformer lilléralement à l'exemple de Mo- hammad. On oublie que selon Taveu concordant de témoins aussi divers que ïhawrî, Ibn' Oyaynah, Wâqidi, Nadr-ibn- Shomayl, YahyaQattân, Ishâq-ibn-Râhawayh, Ibn'Okkâshah et Ibn Hanbal (1), laSonnah, avant toute prescription légale, est l'exercice d'un minimum de vertus morales, — ridâ (2), hi çadâAnah.mellre sa satisfaclion dans le décret divin (préé- ternel) — tasllm, Il amr Allah, se soumettre au commande- ment divin [hic et mine) —eisab?' (3), 'alà ho/an Allah^ s'in- cliner humblement devant l'arrêt divin.
Et chez les plus fervents, celte pratique des vertus morales, conçue comme une préparation à un état de grâce avec Dieu, se développe et prend l'aspect enchaîné, équilibré, méthodi- que et pratique d'une Règle de vie commune, taisant delà soumission intérieure à la loi le chemin même de la sainteté extérieure. Nous avons étudié ailleurs (4) l'exemple de vies disciplinées comme celles d'Hasan Basrî [-\- H 0/728) et d'Ibrahîm-ibn-Adham (+ 170/786), — et la codification esquissée par Molmsibî (-|- 243/857), en sa (^ RCâyah liho- qoùq Allah », c Règle pour les devoirs envers Dieu » (5).
Durant cette première période du mysticisme sunnite, il n'est pas question de définir dogmatiquement le processus de l'inspiration. Mais dès lors, des exemples irrécusables en sont mentionnés : sous forme de hadith qodsl^ u tradition
(1) Gfr. Aboù'l Hosayn Malatî (+ 377/987 ), lanhîk wa radd, ras. pers., p. 28, 368, 372, 384.
(2) Ou tafwîd.
(3) Ou lawalikol.
(4) Gfr. fessai.
(5) Ms. Oxf. HuqI, 011. C'est le livre foudamental, eu Islam, pour mettre eu ordre sa vie ; c'est uu livre très médité, et qui a eu un reten- tissement profond.
THBOLOGIB MYSTIQUE 5 I ï
sacrée », c'esl-à-dire tradition remontant à un prophète (i) et faisant parler Dieu à la première personne. Deux sont célè- bres, le (( nian 'ash'tqanl 'asfùqtoho » (2) rapporté par Hasan Basrî, — et le « konlo sania/io wa hamraho » (3) d'Ibn Adham. Il fallut étudier comment ces paroles de Dieu s'étaient gra- vées dans le cœur de ces croyants pour que leurs lèvres les aient articulées, avec le même respect que les versets cora- niques, dont la récitation constante leur procurait un u psau- tier » type, la norme du langage par lequel Dieu s'adresse au cœur.
Jusqu'au troisième siècle de l'hégire, l'enregistrement des versets dans le cœur était considéré (4) comme un phénomène d'inoculation automatique et matérielle, inévitable et immé- diate, hlimà\ '( l'audition » ; privilège se transmettant orale- ment de croyants à croyants. Nazzàm, le premier, ensei- gna (5) aux mo'tazilKes que Vulïma était la résultante d'un travail d'élaboration intellectuelle graduelle, istidlâl : que ce travail de raisonnement, fondé sur le témoignage de sensa- tions susceptibles d'erreur, était accessible à tous, croyants
(1) Edités dans des Sahaif apocryphes attribués aux prophètes Idrîs, Yahyâ, Dàwoù J ; la plupart sout de véritables recueils de •:< psaumes », dialogues de l'âme repeatautc avec Dieu, cxhortatious à la pauvreté, chasteté.
(2) « Celui qui Me désire, Je le désire -> : attesté par 'Abd al Wâhid- ibn-Zayd (ap. Hihjah). C'est deveuu uu hadîth ordiuaire, et Ibn Sînà l'a commenté.
(3) « Je deviendrai son ouïe et sa vue » (cité a p. Mohiisibî, mahabbah : ap. Hil^ah, s. v,), C'est devenu, sous forme très atténuée, le fameux hadîth al taqarrob bil nawdfil des SahUi classiques.
(4) Même par les mo'ta?ilites comme 'Allàf, et les gholât.
[o) Kishàm-ibn-al-Hakam l'avait entrava : « al Q >r dnsonli o, le Qor'àn, dans sa réalité, est un concept iinuialériel qu'un texte matériel est im- puissant h inoculer au lecteur non préparé (Malatî, tanhlh^ 44). La no- tion <le la Tradition [t-noni.or), grâce coileclive que Hishâm et Nazzâm négligent ici, — et qu'Ibuai Ràwandi nia,— est examinée au chap. XIII.
5ia
CHAPITRE XI
et incroyants ; et qu'il aboutissait, au maximum, à ne donner à l'intelligence qu'une certitude idéale ; en particulier, la tilàivah^ la récitation du Qor'ân, n'était qu'une hikâyah^ une citation au style indirect, historique, sans efficience réelle.
Ibn HanbaU fidèle aux données coraniques, vint alors maintenir que dans toute récitation du Qor'ân il y avait un avertissement divin, incréé, que ce fût sur des lèvres de croyants ou sur des lèvres d'impies (1); faisant que cette énon- ciation divine n'était écoutée [utïmâ') et goûtée : que par les coiurs croyants, comme une miséricorde ; que par les cœurs impies, comme une sanction (2).
Entre ces deux positions extrêmes, plus profondément, Mohâsihî enseigna dans un admirable commentaire de la parabole du « Semeur » (3), que les paroles divines ne se gra- vent avec fruit que dans un cœur renoncé, et disposé à les écouler vraiment : Vistima n'est donc ni pure passivité de la mémoire, ni simple automatisme de l'intelligence, mais dépend aussi d'une discipline de la volonté. Ancien mo'tazi- Wle, Aboii Yazîd Bïstâmî^Q proposa d'acquérir ce que Ibn Hanbal avait cru être l'apanage de tous les croyants : d'ar- river à ce que la toute-puissance créatrice elle-même dicte directement à ses lèvres les versets qu'elles articuleraient: il pratiqua en conséquence pendant trente-cinq ans un renoncement intérieur plénier, une annihilation implacable de sa personnalité, dépouilla «comme un serpentsapeau » (4) tous ses actes pour qu'il n'en subsiste que l'action divine qui les meut. A force d'anéantir son cœur, il y entendit Dieu se
(1) Cr. infrà, Xll-n. Taw. 136, n. 2.
(2) Chaque verset est ainsi traité comme une parcelle consacrée, monté comme une « perle » sur un collier, dans les œuvres de hanba- lites comme al Kîlânî (cfr. ici, p. 4Ii-413).
(3j Màxjah, ms. Oxf., f. 4^, \\^. Comp. Hallâj ap. Sol. Qor. X, 43. (4) Bîroûnî, Hind, s. v. ; Kîlânî, ghonyah, II, 159.
THÉOLOGIE MYSllQUE 5l3
louer Lui-même : « Los à Moi ! Quoi de plus luml que Mu gloire ! » (1) Mais ces syllabes stériles, qu'il n'élail même pas possible à ses lèvres de se répéter sans blasphème, le détrui- saient sans l'unir. 11 mourut sans avoir atteint son but, remarque .lonayd (2) ; résigné à être « possédé de Dieu », a trompé » (3) par Dieu, en ce monde et dans l'autre, à ne l'atteindre que sous des images illusoires, passagères et sté- riles, même au Paradis.
Sahl Tostari, reprenant la même expérience de vie, avec une résolution égale et une humilité plus abandonnée, observa (4) qu'au moment où Dieu dictait à la langue de l'ex- tatique certaines paroles inspirées, Il faisait goûter à son cœur une (( certitude » ineffable, un « yagln » incréé (5). Qu'il lui fallait alors, non plus s'obstiner à anéantir son cœur, comme l'avait fait Bistâmî, — mais détacher son attention de ces paroles, et de ce cœur, transporter son intention du dehors au dedans, — oublier la louange même que Dieu ins- pirait à sa langue, pour adorer en deçà de son cœur Celui qu'elle loue (6). Sahl indiquait ainsi, le premier, la possibi- lité d'un état permanent (7) d'union réelle avec Dieu.
(1) Sobhânî, ma a'zama shâni 1 (voir Essai; et Taiv., p. Î76). (2j Mdia 'alà al tawahhoni. Cfr. ap. Sarrâj, loma\ 397.
(3) Khad'ah, même au Paradis (le soûq). Cfr. Ibu al Jawzî, nâinoih, X.
(4) A la suite de Yahya-ibn Mo'âdh al Râzî, doat on a la sentence admirable : « Qui connaît son âme, connaît son Dieu » : man 'arafa nafsaho, f'aqad 'arafa Rabbaho (phrase qui de\\nl \in hadît/i : Soyoùtî, Dorar, s. v. ; Balabânî l'a monographiée). Cfr. Taw., p. 165.
(3) Tafsir, p. 18-19 (comp. p. 94, 1. 12). Dieu, en Son essence, se trouve « contenu dans les réalités de la foi, sans qu'il y ait limitation, emprisonnement ni infusion » [holoûl) (Qosh., éd. 1318, p. 189). « Dieu est 'tmân » selon les Sâlimiyah (Kîlànî, ghonyah, I, 71 ; cfr. Fàris, ap. Kalâbâdhî, ta'arrof, s. v.).
(6) Ghaybah fil Madhkoûr 'an al dhikr (Sarrâj, loma\ 394 ; et Soùsî, in Qosh., IV, 90).
(7) Défini alors par Aboù Sa'îd al Kharrâz ; ^«^«(ofjp. à faud), 'ayn
al iam\
33
5l4 CHAPITRE XI
Un de ses disciples, Ibn Sâlim, résuma sa doctrine dans les propositions théologiques suivantes (i), contre les Han- balites. Toute récitation du Qor'ân, même sur des lèvres fer- ventes, ne pouvait être qu'une hîkâyah, une narration créée, irréelle des paroles divines. Sous toute récitation du Qor'àn, en revanche, le cœur était convié h goûter une action créa- trice particulière, taf'il, une de ces modalisations adorables de la volonté incréée, cette multiforme réalisation divine (2) qu'il lui fallait apprendre à vénérer sous tout acte quelcon- que de toute créature.
d) Formation de la doctrine hallagienne.
C'est à al Hallâj, autre disciple de ^ahl, qu'il était réservé de mener à son terme (3) cette recherche expérimentale de l'union transformante ; et d'expliquer comment elle se réa-
(1) Ibn al Farrâ, mo'iamad fî osoûl al dîn, ms. Damas (taw. 45) : réfutation hanbalite de XVI propositions (dont XI sont recopiées par Kîiânî, ghonyah, I, 83).
(2) Remplaçant par une « communion spirituelle » avec toutes les créatures, vivantes et mortes, la « communion sacramentelle » qu'Ihn Hanbal et Bistâmî avaient cherchée dans la seule récitation du Qor'ân. Ibn Taymiyah a parfaitement montré le danger de cette attitude, et fait remonter aux Sâlimiyah le monisme d'Ibn 'Arabî. « Chacun de Ses rayonnements a une forme, chaque croyant à qui 11 apparaît reçoit un attribut (st/a/j), et dans chacun de Ses regards, Il y a Sa parole >> (Makkî, qoût, II, 86). C'est une espèce d'idolâtrie instantanée, sans durée : « Dieu ne rayonne pas deux fois par la même forme, ni par la môme forme pour deux croyants » (Makkî, ap. Ibn 'Arabî, risâlah qodshjah, ms Caire, VII, n" 31, f. 630). Al Kîlànî, hanbalite, essaie une atténuation en rectifiant « Dieu ne rayonne pas pour le même croyant sous deux attributs différents, ni sous le même attribut pour deux croyants ». (Shattanawfî, bahjah, 82). C'est la théorie de l'union aux attributs et aux noms divins, soutenue par Gorgâuî (Ghazâlî, maqsad asnà, 73-74; cfr. suprà, p. 351', n° 2).
(3) Il est le premier mystique musulman a désirer mourir par pur mour.
THÛOLOGIE MYSTIQUE 5l5
lisait: par une sorte de transposition soudaine des rôles entre Dieu et Ttiomme, iVéchanye entre la langue et le cœur du mystique ; où tantôt c'est encore Dieu qui inspire le cœur et rhomme qui rend ténioignage par sa langue, — et tantôt rhoninne qui aspire en son cœur, et Dieu qui rend t(^moignage par sa langue (I), l'accord demeurant parfait et constant entre les deux, « moi et loi ». Son point de départ est une règle de vie, voisine de celles de Hasan Basrî et d'Ibn Ad-ham, qu'elle reprend et précise. En voici l'analyse, faite par un théologien adverse, de son temps (2) :
« [Al Hallàj a soutenu que] celui qui dresse son corps par l'obéissance aux rites, occupe son cœur aux œuvres pies, endure les privations des plaisirs, et possède son âme en s'interdisant les désirs, — s'élève ainsi jusqu'à la station de (V ceux qui sont rapprochés » 'de Dieu). — Et qu'ensuite, il ne cesse de descendre doucement les degrés des distances, jusqu'à ce que sa nature soit purifiée de ce qui est charnel.
— Et puis, s'il ne reste plus d'attache charnelle en lui, — alors descend en lui cet Esprit de Dieu, de qui naquit Jésus, fils delMarie. Alors il devient « celui à qui toute chose obéit », il ne veut plus rien que ce qui met à exécution le Comman- dement de Dieu ; tout acte de lui dès lors est l'acte de Dieu,
— et tout commandement de lui est le Commandement de Dieu ».
{\) Comme dans la réalisation du choix libre, où l'intelligence et la volonté s'unissent (devant la mémoire), parce qu'elles deviennent réci- proquement causes de l'attrait qu'elles subissent. Jésus, type d'union mystique (ce qui n'est pas l'union hypostatique, mais n'y contredit pas) dans le Qor'ân, est (( sôhib ci rcûJi ical kaliviah », remarque Hasan Basrî : non pas « l'Epprit et le Verbe > , mais « un cœur qui aspire à Dieu tandis que Dieu Se rend témoignage par sa langue ».
(2) Probablement le mo'tazilite Aboù al Qâsim Ka'bî (-(-319/931) : re- copié par Aboù Zayd ibn Sahl Balkliî {soivtir al aqàlîm) et Baghdâdî {far(j, 248) ; texte admis par 'Alî Qârî.
5i6
CHAFITRK XI
Ce résumé, évidemment tendancieux, surtout à la fin, correspond assez exactement à ce qu'ai Hallàj dit de l'union transformante dans les fragments qui subsistent de lui (1) . Le résumé ci-dessus distingue, de façon beaucoup plus pré- cise que les formules de Hasan oud'ibn Ad-ham, trois phases dans la vie mystique: I. Une phase d'ascèse, pénitence et contrition générales; 11. Une phase de purification passive ; III. hdivie d'union proprement dite. C'est ce qu'ai Hallàj ré- sume en parlant des trois ascèses : (^ Renoncer à ce bas monde, c'est l'ascèse du sens ; — renoncer à l'autre vie (2), c'est l'ascèse du cœur ; — renoncer à soi-même, c'est l'ascèse de l'Esprit. »
Voici le tableau des termes choisis par al Hallàj pour dé- crire ces trois phases, avec références :
I. Ascèse : — tahdhîb — taqrîb — tafrîd — les maqâmât (stations) des 40 jours du jeûne (3).
L'ascète est le morld, celui qui désire Dieu.
H. Purification passive : — idtirâr — balâ — istihlàk al nâsoùtiyah — khalà, fana 'an awsâf al basharîyah (4).
(1) Bâwardî, voir ci-dessous, p. 523.
(2) A ses joies créées ; non à la vision béatifîque (ce qui sera soutenu bien plus tard). 'Attâr, II, 140.
(3) Gfr. Taw. ill, 1. Hallàj, à la suite de Sahl (ap. 'awàrif, IV, 252), n'y voit que des stades passagers, dont il est vain de discuter la pré- séance relative, et dont il faut sortir, au lieu de les opposer, par paires symétriques, comme le fera Qoshayrî (sahw, sokr ; qorb, bo'd, etc.). Gfr. ici, p. GO. « Les mortdoùn restent dans les stations, se remuent de station en station ; \es moi'âdoûn dépassent les stations, pour attein- dre le Seigneur des stations » (ap. Baqlî, ia/'s?/-, Qur, XXXVII, 164). Déjà Yahya-ibn-Mo'âdh avait dit : « Quelle difiérence entre celui qui désire aller au banquet pour le banquet, et celui qui veut aller au festin pour rencontrer son Ami au banquet ! » (Sha'râwi, I, 81). Gfr. Sol. 35, 76, 7ÎM28, 197; Jawâmi', 1.
(4) Mot critiqué par Solami, ghalatâl, f. 77. Gfr. son tafsrr, in Qor. III, 34.
THÉOLOGIE MYSTIQUE 617
Le purifié est le nwrâd. celui que Dieu désire ; le wahddnî aldhâl, celui dont Dieu unifie l'essence (1) : le siddiq.
III. Vie d'union : — 'ayn al jaiu' — raf 'al anniyah — Le qà'îm bi'l I.Iaqq, et les deux qiyâm réciproques : qiyânnî bi haqqika, et qiyâmoka bihaqqî'(2) : le nfiotà'.
Voici les textes saillants :
« Un des signes de Sa toute-puissance est qu'il envoie les brises de Sa pitié vers les cœurs de ses amoureux, leur por- tant la bonne nouvelle que les voiles de la réserve vont s'écarter, pour qu'ils parcourent sans crainte toute l'étendue de l'amour : et qu'il les abreuve aussi largement du breuvage de la joie Et les soulfles de Sa générosité passent sur eux, — ils les bannissent de leurs qualités et les ressuscitent en Ses qualités et Ses attributs même, car nul ne peut fouler le tapis étendu de la Vérité, tant qu'il demeure au seuil de la sépa- ration, tant qu'il ne voit en toutes les essences une seule Essence, tant qu'il ne voit ce qui passe comme périssant, et Celui qui demeure comme Subsistant » (3).
« Mozijnt roûhoka... » :
« Ton Esprit s'est emmêlé à mon esprit, tout ainsi Que se mélange le vin avec l'eau pure. Aussi, qu'une chose Te touche, elle me touche. Voici que « Toi », c'est a moi », en tout ! » (4)
« Anta bayn al shaghâf... » :
Tu es là, entre les parois da cœur et le cœur, Tu T'en écoules (En glissant), comme les larmes hors des paupières.
{{) Ce n'est pas exactement le « hoira hoica «, contrairement à ce que j'ai écrit (Taw. p. 129) ; le« hoica hoiva » est simplement celui par qui Dieu exprime une idée, la voix de la« prédication légitime » ;Adam, aussi bien que Safan ; il n'est pr.s encore en état d'union mystique, mais d'illumination intellectuelle seulement (Taw. Vl. i et p. 130) : ab eff'eciu externOy non ab effectu interno. Cfr. Sol. 90.
(2) Cfr. index, s. v,
(3) Ap. Sol. in Qor. XXX, 45.
(4) Cfr. Taw. p. 134.
5l8 CHAPITRE XI
El tu infonds la conscience (personnelle) (1) au dedans de mon
[cœur (i),
C^ornme les esprits s'iufondent dans les corps. Ah ! rien d'immobile ne se meut,;sans que Toi, Tu ne l'émeuves par un ressort secret 0 Croissant (de Lune), qui apparais (aussi bien) le quatorze
(du mois), Que le huit, le quatre et le deux ! (3)
« Ana man ahivà... » :
Je suis devenn Celui que j'aime, et Celui que j'aime est devenu
[moi I Nous sommes deux esprits, infondus en un (seul) corps. Aussi, me voir, c'est Le voir Et Le voir, c'est nous voir (4).
« Labbaykây labbaykâ /^» (5) :
(1) Littéralement : Tu établis le «je », le pronom sujet : ici p. 487.
{'i) Jawfa foû'âdî, [\onr bitajwîf al qalb, par l'action vivifiante de l'Esprit sur le cœur (cfr. Tostarî, ap. Makkî, qoût, l 121 ; Ibn 'Arabî, fotoûhàt, l. 187-188). I^a théorie des deux /a/w;?/' du cœur est d'origine médicale; les chirurgiens, dit Qostâ-ibn-Loûqâ (/arç 6aî/'i a/ nafs ival roûh, éd. Gheïkho, ap. « Machriq », XIV, 68, 1. 12 seq.), ont observé qu'il y a dans le cœur deux cavités : ces deux cavités contiennent un mélange de sang et de roûh (souffle vital) ; mais la cavité de droite a plus de sang, et celle de gauche plus de roûh (nous dirions : le ventri- cule gauche est plein de sang rouge, purifié) ; elle « respire » la vie par l'artère pulmonaire {shan/ân tvarîdî) et la répand dans le corps par l'artère abhar. On voit le parti que les mystiques pouvaient tirer de cette doctrine des deux tajivîf ; Tostarî compare celui du cœur gauche (l'essentiel) au roû/i, et celui du cœur droit à V'aql: inspiration divine, expiration humaine.
(3) Cfr. Taw. p. 133.
(4) Cfr. Taw. p. 134. Sarrâj {loma\ 361, 384) remanie prudemment, pour enlever le mot holoûl : i<. Nous sommes deux esprits ensemble, en un cadavre; et Dieu nous a revêtus d'un corps... » Ibn 'Arabî critique sévèrement le second hémistiche : c'est de l'associationisme (Jâmi, nafahât, 568). Jalâl Roùmî l'a traduit en persan {dùvân Shams-i-7'abrtz), Ibn al Dobaythî l'a dilué en cinq vers.
(5) Littéralement u à Tes ordres ! » ; vieux cri antéislamique des Arabes, conservé pour l'arrivée des pèlerins au seuil du territoire sacré. C'est la talbiyah. (Texie ap. Ibn al Jawzî, narjis).
TH^OLOOIE MYSTIQUE 619
(1) « Me voici, me voici, ô mon secret, ô ma coQfidence 1
Me voici, me voici, ô moQ but, ô mon sens !
(21) Je t'appelle... non, c'est Toi qui m'appelles à Toi !
Comment t'aurais-je parlé, à Toi, — si Tu ne m'avais parlé, à moi ?
(.'}) 0 essence He l'essence de mon existence, — o terme de mon dessein,
0 Toi qui me fais parler, ô Toi, mcsénonciations, — Toi, mes clins d'œill
(4) 0 Tout de mon tout, ô mon ouïe, ô ma vue, 0 ma réunion, ma composition et mes parts !
(5) 0 Tout de mon tout, — tout de toutes choses, énigme équivoque. C'est le tout de Ton tout que j'obscurcis en voulant T'exprimer !
(6) 0 Toi, à qui mon esprit s'était suspendu, déjà mourant d'extase, Ah ! demeure son gage dans ma détresse !...
(iC) O Suprême objet que je demande et espère, ô mon Hôte,
0 nourriture démon esprit, ô ma vie en ce monde et dans l'autre !
(17) Mon cœur soit Ta rançon ! ô mon ouïe, ô ma vue ! Pourquoi tant de délai, dans mon éloignement, si loin ?
(18) Ah, qiioi que Tu te caches dans l'invisible, pour mes yeux.
Mon coeur déjà Te contemple, de mon éloignement, oui, de mon exil ! »
Pour donner une formule Ihéologique acceptable de ces données expérimentales, al Hallâj fait appel à toutes les res- sources techniques du lexique contemporain. Il emprunte en particulier au lexique des théologiens imâmites extré- mistes la gamme de leurs expressions désignant l'action divine : lâhoùt, nasoût (1), roûh\ en eu modifiant d'ailleurs profondément la portée. Lâhoût, c'est la toute-puissance créatrice; nâsoùt, c'est le commandement divin (amr), la parole essentielle qui déclenche le y^'«^ ! kon\ des créations divines, parole incréép. dont le langage humain est l'image créée ; r^oûh, c'est l'esprit divin qui développe, modalise et concerte entre elles les créations divines. Il ne s'agit plus d'une série d'émanations, mais de la révélation d'une cer- taine structure interne particulière à l'acte créateur, dont le
(1) Il n'est pas probab'e qu'il l'ait emprunté, comme je l'avais cru d'abord (Taw. p. 131). aux chrétiens; chez lui, comme chez les Gho- lât, nàsoût, noùr sha'sha'ânî et amr sont synonymes; ce qui n'a rien de chrétien (Cfr. le quatrain 5o^/«drm, ivfrà, ch. XII-ii. et Mabitî, f. 86 {Qar mates).
520 CHAPITRE XI
Qor'ân énumère ainsi les moments, irddah., takwhi, ihââ"^ : « Lorsque Dieu a décidé une chose, Il commande^ en lui di- sant « Fïat\ », et elle devient {nx\e, réalité) u {Qor. XXXVI, 82)(1).
Moqâtil-ibn-Solaymân avait observé (2) que cette des- cription de l'acte créateur intervenait (huit fois) (3) dans le Qor'ân, uniquement « au sujet de Jésus, et de la Résurrec- tion ». AlHallâj paraîtavoirégalement noté cette relation (4). En tout cas, il pose en principe que le seul aspect par où l'action divine se prête à l'union transformante avec l'homme, c'est: non pas la /«Ao?//, l'omnipotence créatrice, cette prédestination souveraine dont les décrets sont tous inaccessibles et pareillement effrayants, dont la majesté avait terrassé Bistâmî et dont la science a fasciné Salan ; ni le roûh dont l'universelle activité, manifeste partout, et partout adorable, n'est saisissable que si Dieu lui-même l'explique ; — m-ais cette parole essentielle intelligible qui est au fond de tout commandement de la loi divine, — ce /^«/saisissable et éligible qui est au principe de toute chose créée. L'union mystique d'al l;Iallâj s'opère donc, sur le type même de celle que le Qor'ân attribue à Jésus, par l'union au kon ! « tlat » divin, obtenue par le moyen d'une adhésion de plus en plus étroite et fervente de l'intelligence aux commandements de Dieu que la volonté aime en premier. Et le résultat de cette acceptation permanenle du « fiât » divin est la venue dans l'âme du mystique, de l'Esprit divin, lequel provient du
(1) Jrâdah, amr, ihdâ\
(2) Tafsîr fî motashâbih al Qor an (inséré dans Malatî, tanbîh wa radd. ms. pers. fî. 95-138), f. 123 : « KoU shay' « [Qor XXXVI, 82] » fî amr 'Isa wa'l qiyàmah ». Moqâtil (-|- 130/767), le premier grand commentateur du Qor'ân, fut le guide que choisit Shâfî'î en tafsîr.
(3) Qor. II, m ; III, 42, 52 ; VI, 72 ; XV(, 42 ; XIX, 36 ; XXXVI, 82 ; XL, 70 ; cfr. Bokhftrî, trad. fr., II, 510.
(4) Cfr. ici, p. 515 et infrà, eh. XII-iv.
THÉOLOGIE MYSTIQUE 5a I
commandement de mon Seigneur » (I) et fait désormais, de chacun des actes de cet iiomme, des actes véritablement divins; et qui en particulier donnera aux paroles de son cœur, l'articulation, renonciation et l'application voulues de Dieu.
« La parole a au Nom de Dieu », dit al Hallâj, doit être pour toi comme le « Fiat ! » Et si tu crois bien « au Nom de Dieu », les choses se réaliseront par ta parole « au Nom de Dieu », comme elles se réalisent par Sa parole « Fiat ! » (2).
Voici deux fragments très remarquables, où il essaie de serrer de plus près :
ï. Tanzîh 'anal naU ival wasf;
(3) « Ma science est trop grande pour être embrassée par la vue (nazar), elle est d'un grain trop menu et trop com pact pour être assimilée par l'entendement d'une créature charnelle [hashar). Je suis « je », et il n'y a plus d'attribut Je suis « je », et il n'y a plus de qualification (4). Mes attri- buts, en effet (séparés de ma personnalité), sont devenus une pure nature humaine (nâsoûtiyah), cette humanité mienne est l'anéantissement de toutes les qualifications spi- rituelles [roûhâiiiyah], et ma qualification est maintenant une pure nature divine {lâhoûtiyah) .
(( xMon statut [hokm) actuel, c'est qu'un voile me sépare de mon propre « moi ». Ce voile précède pour moi la vision
(1) Qor. XVII, 87.
(2) Ap. Sol., in Qor. XXVII, 21*. Parole célèbre, qui est l'épigraphe du premier traité d' 'Abd al Karîm Jîiî, Huhfiva raq'im (ms. Caire, VII, 229. p. 277 : f 219" seq.). Cfr. son sharh ■/ o^hkilâl al « Foloûhàl *), f. 819 (sur /"oL II, 139).
{?>) Ce texte, fort important, est trad. entièrement par Baqlî, Sha- thîyàt, f" 156'' ; Timâmite Ibn al Dà'i {tabsirah, 402) donne une trad. persane indépendante, du début.
(4) Ana' ana, wa là na't ; ana ana, loa là wasf.
022 CHAPITRE XI
[kashf) ; car, lorsque rinslant de la vision se rapproche, les allribiits de la qualification s'anéantissent. « Je » suis alors sevré de mon moi ; « je )>suis le pur sujet du verbe (i ), non plus mon moi ; mon «je» actuel n'est plus moi-même (2). Je suis une métaphore [tajâwoz] [de Dieu transportée en l'hom- me], non un apparentement générique [tajânos] [de Dieu avec l'homme] (3), — une apparition [zohoûr) [de Dieu], non une infusion [holoùl) (4) dans un réceptacle matériel [haykal jothmdm). Ma surgie (actuelle) n'est pas un (simple) retour à la prééternité (5), c'est une réalité imperceptible aux sens et hors de l'atteinte des analogies.
« Les anges et les hommes ont connaissance de cela, non qu'ils sachent ce qu'est la réalité de celte qualification (6), mais par les enseignements qu'ils en ont reçus, suivant leur capacité à chacun. « Chacun sait la source oii il devra se désaltérer » (Qor. ïï, 57).
« L'un boit une drogue, l'autre hume la pureté de l'eau (7); L'un ne voit qu'une silhouette humaine [shakhs) [quelconque], l'autre ne voit que l'Unique et son regard est obscurci par la qualification (8) ; l'un s'égare dans les lits des torrents
(1) Ka'annî ; voir ici, p. 470. Et Tawâsîn, II, 5, XI, 23.
(2) Ana' monazzah 'an nafsî ; [kaannî ana là nafsi ; wa là nafs ana] [sur trad. persane].
(3) Contre la théorie r<05'7yrî (catéch. Wolff, quest. 4); al tajânos ittifâq fî al haqîqah (Tahânawî, s. v.), ittihâd fî al jins.
(4) Contre Tinterprétation holoûlî.
(5) Contre la thèse, déduite de Jonayd : « al nihâyah., rojoiV ilà al bidâyah. Cfr. ce qu'il en dit, ap. Baqlî, shnthixjdt, f. 156* : nihâyah =
tahqîq.
(6) Le mystère de cette opération.
(7) Ils ne discernent pas Dieu, dans"ile saint, comme premier^et uni- que moteur (Cfr. Ibn 'Arabî, fosoûs, 237).
(8) I/apparence d'humanilé débile qui subsiste, et qu'il identifie à Dieu, par erreur. Diins la marionnette défaillante d'Adam, montrée d'avance en spectacle aux Anges comme l'image de Son amour essen-
THÉOLOGIE MYSTIQUE 523
desséchés de la recherche, l'aulre se noie dans les océans de la réflexion ; tous sont hors de la réalité, tous se proposent un but, et ils font fausse route.
« Les familiers de Dieu, ce sont ceux qui demandent à Lui la route ; ils s'annihilent, et c'est Lui qui organise leur gloire. Ils s'anéantissent, et c'est Lui qui réalise leur gloire Ils s'hu- milient, et Lui les montre (aux autres) comme des repères. Eux se mettent à la recherche des égarés, abaissent leur pro- pre gloire, et ce sont eux dont les grâces de Dieu même s'éprennent, ce sont eux qu'il ravit à leur attribut par Ses qualifications [)ropres I
« 0 merveille! Tu dis qu'ils sont « arrivés ))?ils sont séparés. Tu dis qu'ils sont « voyants »? ils sont absents (ravis à leurs sens). Leurs traits externes (ashkcîl) demeurent en eux (et pour eux) apparents, et leurs étals intimes [ahivâij demeurent en eux (et pour eux) cachés. »
II, Raf al anniyah.
(1) « J'ai lu, dans un manuscrit autographe d'al Hosayn- ibîi-Mansoùr al Hallàj, chez un de ses disciples, le passage suivant :
« Pour moi, je loue Dieu ! ce « Lui » hormis qui il n'y a pas de dieu. Lui qui sort des limites des imaginations, et des
tiel, Dieu s'insinue graduellement pour tenirle rôle et le parler dûment. Il soutient les gestes, puis il en revise les rouages ; puis, si l'homme accepte de diminuer pour que Dieu croisse, TEsprit vient vivifier eu son cœur le « Je « divin qui s'y articule. Les autres, qui voient resplendir le vêtement divin des grâces reçues {lalbh), croient que le snint possède en propre royauté, puissance et gloire ; mais le saint qui s'est dépouillé de tout, dont l'essence est devenue une pure obéissance, pauvre et nue, sait bien que c'est Dieu qui fait tout en lui, que lui n'est plus rien, et ne subsiste que par scn Bien-aimé, qui est vraiment son Tout {taqdîs). (1) Akhb. 52 : témoignage d'Aboù'l Qâsim al Bàwardî (ouMàwardî) ; un autre ms. donne : Aboù Nasr al Baydâwî.
524 CHAPITRE XI
représentations des pensers, et du pouvoir conceptuel de notre entendement, et de la capacité de détinir de notre per- sonnalité, Lui à qui rien ne ressemble, l'Audient, le Voyant ! — Sache que l'homme suit (1), en se maintenant dans la pleine et entière observance de la Loi, une voie qui ne L'égaré pas (2), jusqu'aux stades du taivhld. Alors, une fois qu'il y est parvenu, la considération (3) de la Loi tombe (comme des écailles) de son œil, et il est travaillé par les lueurs qui jail- lissent de l'abîme de la sincérité. Alors, quand ces lueurs se sont synonymisées (4) pour lui, et que ces rayons se sont cohérés devant lui, le tawliid (5) devient pour lui une impiété [zandaqah]^ et la Loi une extravagance. Et il reste là, sans substance ni vestige (de sa personne). Et s'il agit selon la Loi, il la suit pour respecter la forme ; et s'il prononce le iawhid (6), il le prononce en s'y forçant ». Et il récitait :
« Est-ce Toi ? Est-ce moi ? Cela ferait une Essence au dedans de
[l'Essence (7)... Loin de Toi, loin de Toi [le dessein] d'affirmer « deux » ! Il y a une Ipséilé tienne, (qui vit) en mon néant (8) désormais, pour
[toujours, C'est le Tout (qui brille) par devant toute chose, équivoque au double
[visage... Ah ! où est Ton essence, tiors de moi, pour que j'y voie clair...
(1) Lire « a'iam anna yosilo al mar'a... »
(2) Ponctuer « ma lam yodill ».
(3) Molâhuzah.
(4) On dirait plutôt : syndromisées : tashâbasat.
(5) La profession de foi, la shahâdah.
(6) Id.
(7) Lire «< A onta, am ana' ? liadhâTa^no fî'l'ayni [\ar. ilabayni fî'l hayni] ». Cet hémistiche a été parfois supprimé, par prudence, et remplacé par le second, complété alors par un remplissage : « Tu es inaccessible au dénùment et à la détresse. » Peux dieux ne peuvent coexister sans s'entre-détruire, à priori, cfr. Haqiî. shafh., f. 136.
(8) Fî là'iyatî abadà. Var. : nâsoûtî bihâ abadâ : « en qui mon hu- manité subsiste... »
THÉOLOGIE MYSTIQUE 525
Mais déjà mon essence est bue (i), consamée (2), au point qu'il n'y a
[plus de lieu .. Où retrouver cette touche (divine) qui Te témoignait, ô mon Espoir, Au fond du cœur, ou biou au fond de l'œil ?
Entre (3) moi et Toi (il traîne) un « c'est moi ! » ''qui) me tourmente. .. Ah ! enlève, de grâce (4), ce « c'est moi ! '> d'entre nous deux ! >>
Celte dernière |)ièce nous aide à interpréter le cri fameux prêté à al Hallàj « Ajia al Haqq ! », « Je suis la Vérité ! » Réponse qu'il aurait faite, avant sa vocation définitive, vers 283/896, au moment de sa rupture avec les soufîs, l'adres- sant à Jonayd, son directeur de conscience, qui l'avait inter- rogé avec autorité (5). Ce mot, qui résumera, pour la posté-
(I) Lire : folqiha (au lieu de faliqad).
(:2) Tabira, est attesté par une citation de Sohrawardî d'Alep (kali- mat al tasaiciuof).
{'■i) « Baynî \va baynaka anniyô yoaâzi'onî.. . ». Ge vers est un des plus célèbres, pour sa beauté. Sohraw irdî d'Aiep disait qu'en deman- dant à Dieu, par ce vers, de lui enlever ce dernier reste (6a^?j/a/i)ciiar- nel, al Hallàj « donnait aux autres dispense plénière de (verser) son sang ». Nastr al Din Toûsi disait que cette prière avait été exaucée, et qu'il dit alors : « Je suis la Vérité », ce qui signifiait que son heccéité [anniijah) lui avait été ravie, sans que (la joie) d'être deux avec Dieu lui fût ôtée. On trouvera le texte de divers commentaires sur ce vers, ap. Quatre Textes..., p. 81* ; cfr. p. 28. Najm al Din Râzi {mirsâd, 111, § 19) reconnaît là une manifestation transfigurante d'un attribut divin, la pevsé\lé {tajallî hi sifat baqâ). Ibn Taytniyah, dans un très long et curieux commentaire, essaie de donner à ce vers trois sens suc- cessifs : un sens impie, de pur monisme (/"ana 'an wojoûd alsiwd), puis un sens d'exagération excusable chez un extatique {fand 'an shohoûd al siwà) : enfin, il termine par l'examen du troisième, qu'il déclare admi- rer (fana 'an Hbddat al siwà) comme l'expression d'un état d'obéis- sance parfaite, d'amour parfait, d'abandon parfait à Dieu seul, ce qui est « iahqîq al taivhîd » (cfr. /. c, p. 81*).
« Fais-moi mourir à moi-même, que je ne vive plus que de Ton « c'est
toi » ! ))
(4) Biloffika, var. biannaka : par Ton « c'est toi ! « qui m'immorta- lisera.
(5) Comme un exorciste, cfr. ici, p. 61. Tawdsîn, p. n."il79. « Mon
b'À6 CHAPITRE XI
rite, de façon un peu trop concise, la doctrine d'al Hallâj sur
l'union mystique, nous paraît une sorte de mise au point des
formules de Bistâmî. Le récit d'un adversaire mo'tazilite,
qui le lui fait prononcer devaiit al Shiblî, nous montre ensuite
al Hallâj, « cachant à demi son visage dans sa manche », et
récitant, pour commenter, en le justifiant, son cri :
Yâ Sirra sirri :
0 Conscience de nia conscience, qui Te fais si ténue Que Tu échappes à l'imagination de toute créature vivante ! Et qui, en même temps, et patente et cachée, transfigures Toute chose, par devers toute chose...
Si je m'excusais (1), envers Toi, ce serait (arguer) de mon igno-
[rance (de Ta présence),
De l'énormité de mon doute (sur notre union), de l'excès de mon
[bégaiement (à Te servir de porte-parole) (2).
0 Toi qui es la Réunion du tout, Tu ne m'es plus « un autre »,
[mais « moi-même » 1 (3) Mais quelle excuse, alors, m'adresserai-je, à moi ? (4) »
On remarquera que, dans ces essais d'analyse psychologi- que (5) de l'état d'union transformante, al Hallâj montre in-
« Je ». c'est Dieu » ! Cfr. 1' « Ego sum qui sum » d'Orsola Benincasa (4- 1648), exorcisée. Cfr. l'autre question de Shiblî, ici p. 303, posée de même (Qor. XV, 70).
(1) In ilidhârî : cfr. Qor. VI, 25 : in hadhâ .., etc.
(2) Mon seul moyen de ra'excepter de Toi serait de renier notre union ; cesser de Te chercher en moi, me retrancher dans mon igno- rance, doute et bégaiement. Maqdisî, Ibn al Qârih et Ma'arrî {ghofrân, 150) dénoncent cette pièce comme moniste : à tort, croyons-nous.
(3) Va jomlat al kolli, laataghayrî.
(4) Idhà^ ilayya ? — i. e. : Je n'ai plus de prétexte pour refuser d'avouer: « Anu'al Haqq. » Cfr. Qays (ransporlé d'amour, cLantant : « Je suis Laylâ et elle est Qays ! Admirez, après cela, — Comment venant de moi, ma supplication s'adresse à moi I » (Shoshtarî, diwân).
(5) Qui n'est leulée, après lai, que par 'Abdallah Qorashî en son sharh al laivhld (chnp. fî sifat al motahaqqiq billâh fî wajdihi bihi, extr. ap. JJiiyahy s. v.): et où il n'est question que de la vision non
ransformante, lahsil, ru'yah.
THÉOLOGIE MYSTIQUE 627
direclemenl que les objections communément opposées par divers Ihéologiens musulmans ne sont pas recevables.
D'abord ia prétendue impossibilité o/?/o/o/;i^«e, arguée par Jonayd et Ibrabim al Khawwàs, fortifiés des expériences négatives de Bistàmî : le Créateur ne peut manifester son Etre réellement ()ar un signe créé ; si un homme était destiné à Lui servir de truchement, il serait immédiatement et inté- gralement consumé, volatilisé (1). A quoi al Hallûj répond qu'il n'y a pas antinomie radicale entre la créature humaine et le Créateur (il y a même aflinité virtuelle) (2), entre le corps et l'esprit humains et la divinité ; il n'y a contradiction qu'entre la misère charnelle de l'homme (3), bashariyah^ — et l'impassibilité divine, samadiyah.
Ensuite l'inconcevabilité logique (4), soutenue par Jahm, les mo'tazilites, et la plupart des motakallïmoùn, d'une rela- tion directe quelconque entre la nature divine et la nature humaine, autrement que par holoùl (5), inclusion, par confusion, ittkâl, ou mélange, imtizâj (6), de parcelles in- créées en des parcelles créées, ce qui serait absurde. Cet argument, qui aboutit d'ailleurs à nier la possibilité d'une
(1) Jouayd considérait qu'ensuite Dieu pouvait ressusciter cet homme, le reconstituer de toutes pièces (r4fr. su/.rà, p. 36).
Mais le vague avec lequel il présente cette tiypothèse indique bien que ce n'est chez lui qu'un but idéal, non réalise.
(2) Li .9ow/Y(/i d'Adan, comp. Akhb. 32, 34 avec Sol. IIÏ, 3i, XXlll, 93, LXIV, 3, LXXXII, 8.
(3) Qui, naturelle au corps, a gagné l'âme, par le péché.
(4) Pour eux, tout être créé est éteiidu, et il n'y a que quatre types de changements, tous d'état local: harakah, nokoân, ijlimâ\ iftirâq.
(o) Ilaliâj se sert de ce mot comme approximation poétique, mais le rejette explicitement diuis ses définitions (in Qor. LVII, 3, etc.). Je n'ai pas assez marqué cette nuance dans Taw. (voir p. 19'K n" 2).
(6) He sont I^s deux seuls types d'ijtim'V possibles. Les philosophes en envisageaient d'autres ; et c'est sur eux, et non sur Hallàj, que tombe l'argumentation. Cfr. ici, p. 530.
528 CHAPITRE XI
vision béatifique en Paradis (réclamée par Hasan et par Ibn Haiibal), — a été envisagé par al Hallàj dans loule sa force. Il souligne avec ironie l'invraisemblance à priori de l'union mystique ; il dénonce, comme Bistâmî, la « ruse >j de Dieu qui nous fait espérer que nous puissions Le rejoindre par nos propres forces, a II n'est pas de ruse plus évidente que celle employée par Dieu à l'égard de ses adorateurs. 11 leur fait s'imaginer qu'ils Irouveront quelque état qui les amène jusqu'à Lui. — que le contingent pourrait avoir un nexus (içtirân) avec l'Etre nécessaire (I) ! Mais Dieu et ses atti'ibuts restent inaccessibles. S'ils prononcent Son nom, c'est en eux ; s'ils Lui rendent grâces, c'est pour eux ; s'ils Lui obéissent, c'est pour se sauver, eux ! Rien n'est pour Dieu qui vienne d'eux, et II s'en passe ! » (2)
Mais il comprend que cette ruse est une « équivoque » ado- rable, ^â!//5?A*( 3), un déguisement de la miséricorde divine pour nous attirer petit à petit à soi à travers des voiles qui seront levés. Si le Créateur se retirait de Sa création, elle cesserait d'exister. « Il ne s'en est pas séparé, et ne s'y est pas an- nexé h (4). « Il ne s'est pas séparé des créatures et ne s'y est pas annexé. Comment s'en serait-il séparé, Lui qui les fait exister et durer. Comment le contingent s'annexerait-ill'Ab- solu ? En Lui la raison d'être {qiwâin) de tout. Lui distinct de tout « (5).
(1) Iba al Jawzî, qui cite cette phrase [Nâmoûs^ X), ajoute assez in- considérément « Quiconque médite sur le sens de cette phrase, en remarque l'impiété pure, car elle insinue que c'est par moquerie el par jeu (que Dieu agit) ».
(2) In Qor. XUI, 42. Gfr. Akhb. 32, 34.
(3) Et non pas une duperie stérile, A'had'ah, comme l'avait dit Bis- tâmî ; après Ibn abî'l 'Awjâ (cfr. p. 479. n. 2). — Corap. Gen. III, 5.
(4) In Qor. LXXXV, 3, ce qui est plus serré que la formule ash'arite : c Dieu n'est, ni dans le monde, ni en dehors du monde. »
(5) In Qor. LVII, 5.
THÉOLOGIE MYSTIQUE 629
11 constate en lui-même, avec encore plus de force, à pos- teriori, qu'il y a un degré suprême de la présence divine en ses créatures, qui peut se réaliser et se consommer dans l'homme, sans division ni confusion. 11 déclare que le mode d'opération de cette union mystique est transcendant (1), au-dessus du créé, et de tout ce dont l'homme est digne : un don gratuit de rincréé, ïhsân (2), au-dessus de toute rétri- bution créée. 11 se borne à essayer de faire entrevoir cette union au moyen de symboles qu'il sait inadéquats (3), mais
(1) Il l'a dit en vers : Maicâjida Haqq :
< Les étals d'âme d'où surgit l'extase divine, c'est Dieu qui les provo-
[que tout entiers, Quoique la sagacité des plus grands soit impuissante à le comprendre ! L'extase, c'est une incitation, puis un regard (de Dieu) qui grandit en
[flambant dans les consciences. Lorsque Dieu vient habiter ainsi la conscience {sarîrah), celle-ci, dou-
[blant d'acuité.
Permet alors aux voyants d'observer trois phases distinctes : Celle où la conscience, encore extérieure à l'essence de l'extase, reste
[spectatrice étonnée ; Celle où la ligature du sommet de la conscience s'opère ; Et (celle) alors (où) elle se détourne vers Celui qui considère ses anéan- [tissements, hors de portée pour l'observateur. »
(2) « Ihsânoho ilâ 'ibâdihi biddiyà ghayrraakhloùq » (in Qor. LVI, 23).
(3) Il ne faut donc pas confondre sa doctrine avec celle des philoso- phes émanatistes hellénisants comme Ibn Masarrah, Fârâbî, Ibn Sînâ, Maimonide. Ces philosophes, contrairement aux wo<aA'a//imoMn, admet- tent l'existence de substances immatérielles, et distinguent quatre espè- ces de changements possibles : a) génération et corruption, selon la catégorie de la substance ; b) transformation (istihâlah), selon la qua- lité ; c) croissance et décroissance, selon la quantité ; d) mou\ement local (noqlah), selon l'étendue {ayn) : cette dernière seule concerne la matière étendue. — Et ils font rentrer l'union mystique transformante dans deux des cas prévus. Soit a), kawn wa fasâd, cause substantielle actuant une matière ; type : l'union de l'esprit au corps {holoûl al roûh). Soit c) nonioûw wa idmihlâl, cause accidentelle actuant un être dans une de ses facultés ; type : l'union de l'Intellect Actif et de l'intellect passif {holoûl al 'agi al fà"âl fil 'agi al monfà'il) dans le mécanisme
è3o
CHAPITRE XI
qu'il s'efforce de rendre cohérents. En insistant sur la trans- formation préalable de la créature purifiée, non seulement en son âme par des vertus infuses, mais en son corps, péné- tré et renouvelé par l'irradiation, tajallî^ active et sensible de la grâce (1 ) . La nafs charnelle de l'homme, esclave penchée sur son corps, — est transformée en roûh, qui maîtrise, relève et transfigure le corps. Et en rappelant toujours que c'est une opération gratuite de l'amour divin, due à une ini- tiative surnaturelle, transcendant l'ordre naturel ; et réali- sant une vocation prééternelle, bien plus, une participation à l'Amour primordial de Dieu pour Dieu, l'échange conti- nuel d'une preuve d'amour ineffablement conçue, entre « toi et moi ».
Le « moi et toi» (2), la voix de l'amour même, où se conçoit réciproquement l'intimité réelle de l'amant et l'aimé, par l'échange essentiel de la parole, dans une égalité parfaite,
de l'intellection de la forme intelligible. C'est généralement le type a) qu'ils adoptèrent, identifiant l'union mystique au prophétisme, qui est « distillé dans l'âme » par l'Intellect Actif, émanation divine... Le type c) fut préféré par Aboù Ya 'qoûb Mazâbilî, ptiilosophe mystique con- temporain d'al Hallâj (cfr. suprà, p. 134 et n° 2) ; — Dieu agissant dans sa créature comme une cause formelle intrinsèque, par une cer- taine communication de Lui-même, l'actuanf dans son existence même (cfr. Hallâj, ici p. 524, 1. 16), corr. dans ce sens Taw., p. 137, 1. 15 seq.
(1) Cette irradiation consume le corps, active sa dissolution, car il est devenu charnel et doit mourir ; mais elle est, Hallâj l'atteste, un gage de sa résurrection glorieuse (ici, suprà, p. 298). Cette irradiation, visi- ble pour l'extatique, prend cinq modalités locales, anivdr : « au front, celle de la révélation (ivahy) ; aux yeux, celle du psaume [monàjâh^ ; aux lèvres, celle de l'éloquence (bayân) ; sur la poitrine, celle de la foi ; dans les quatre humeurs du corps, celles des quatre prières (tasbih, tahiîl, tahmîd, toklAr) » (Sol. in Qor. XXIV, 35. On trouvera la même liste, ap. Tostarî, ms. Kôpr. 727, et Ibn 'Atâ, ap. Sha'râwî, tahaqàt, I, 95.
(2) Man o io, disent les poètes persans.
Communique par 'Ali Bey Bahgat
Planche XX. — Tombe d'Ibn al Fàrid au Qaràfah (pp. 530-531).
THEOLOGIE MYSTIQUE
53l
tel est le signe distinctif des poèmes mystiques d'al Hallâj. Un échange familier de tendresses pures, immatérielles, brûlantes. Dieu avait parlé ; l'homme lui répond. Voici qu'au plus profond de cette humanité défaillante et divisée, dans ce cœur qui L'ayant entendu et reconnu, se prosterne, une nouvelle intonation divine naît, qui monte aux lèvres, plus « mienne » que moi-même, qui Lui répond : le rayon reçu dans le miroir y a éveillé une flamme.
Dans la longue et parfois tragique histoire des vocations mystiques en Islam, on ne trouve pas, après ni avant, d'ac- cents aussi surhumains ; où toute la passion de l'amour se prosterne devant son Dieu personnellement présent, avec vénération et abandon filial. Ils sont, en al Hallâj, les fruits d'une vie libérée de tout par les renoncements et les douleurs, constamment renouvelée en Dieu par la prière pour les âmes des autres, et couronnée par la passion de l'unité de la Com- munauté islamique, poussée jusqu'au désir (exaucé) de mourir anathème pour son salut. D'autres, après lui, ne retrouveront plus cet équilibre ; ils se contenteront trop souvent, après leur conversion, de l'exercice isolé et stérile d'une seule puissance de l'âme, soit « moyen court » pour ranimer leurs résolutions du début, soit « signe immanent » déclenchant une concentration de la pensée, soit « image de méditation » matérielle provoquant le rappel de l'extase. Pour Sohrawardî d'Alep, 'Attâr et même Ibn'Arabî, domine la conception de plus en plus cristallisée et abstraite d'une Idée parfaite et pure, le Dieu des philosophes occasionnalistes comme Descartes et Malebranche. Pour Ghazâlî, c'est plutôt l'impératif de plus en plus catégorique d'un commandement souverain, le Dieu des moralistes déterministes comme Ash'arî ou Kant. Pour la plupart des autres mystiques, comme Ibn al Fârid, Jalâl Uoûmî, Shâbistârî et Nâbolosî, c'est l'apparition de plus en plus adorable d'un visage de
532
CHAPITRE XI
Beauté où Dieu, fasciné, se reflète ; le Dieu des esthéticiens comme Léonard de Vinci. El ils ne Le retrouvent plus au travers.
Les dialogues d'amour des poètes mystiques postérieurs ne sont que des échos, auprès des cris de l'extase halla- gienne (1) ; — même chez le plus touchant d'entre eux, le seul resté populaire, Aboû'l Hasan'Alî al Shoshtarî, humble shâdhilî andalou (2), quand il chante en mowashshahât sa conversion :
I. « Ua ami, qui est l'Ami lui-même...
Lui, qui est ma parure, 11 a fait de moi sa parure ! » IL « Quand, ô prunelle de mon œil,
Trouverons-nous l'union hors de l'espace ?.... » IIL « Un cheikh du pays de Meknès, à travers les soûq va chan-
[tant (3) : « Qu'est-ce que me réclament les hommes ? Et qu'est-ce que je
[leur réclame, moi ? Que dois-je ami, à toutes les créatures,
Quand celui que nous aimons est le Créateur et le Pro vident... » Tu vois les gens des boutiques qui le secouent, manient Son sac à son cou, ses béquilles et ses mèches en désordre... Mais c'est un cheikh bâti sur le rocher, comme tout bâtiment
[que Dieu bâtit. « Qu'est-ce que me réclament les hommes ? Et qu'est-ce que je
[leur réclame, moi ? (4) »
(1) Tel le fameux apologue de Jalâl Roûmî : « Unjour l'amant frappa à la porte de l'Aimé... et il Lui dit : c'est Toi ! ... » (mathnawî, éd. Caire, I, 121) : comp. Saqatî : « il faut que l'amant arrive à crier : « 0 (Tu es) Moi ! » (Qosh. IV, 97).
(2) Elève d'ibn Sab'în (cfr. Aloùsî, jalâ, 51) ; mort en 666/1268.
(3) Comparer al Hallâj, dans les soûq de Bagdad, suprà, p. 123-125.
(4) Cfr. au contraire al Hallâj, priant pour autrui, suprà, p. 130, 298, 303 et infrà, chap. xil-vi.
CHAPITRE XII THÉOLOGIE DOGMATIQUE
Sommaire
Pages
Note préliminaire 535
I. — Examen des données métaphysiques employées :
a) Le but : la connaissance de Dieu ; ses voies :
1. Les deux voies naturelles, et la troisième voie. 536
2. Tableau des questions discutées 542
3. Textes hallagiens . 547
b) Les différentes sortes de choses nommables :
1 . Les postulats de la scolastique islamique . . 549
2. Les modes d'existence des choses, ad extra . 559
3. Les degrés de réalité des choses, ab intrà . . 565
c) Les ressources de la langue arabe :
1. Les matériaux de la grammaire 571
2. La mise en ordre des idées 577
3. Les graphies synthétiques : l'alphabet philoso-
phique (jafr) 588
II. — Cosmogonie {qadar, 'adl) :
a) L'image de Dieu (soûrah) :
l. Les doctrines ; l'amour c essence de l'essence
divine », selon a'I Hallâj 599
2. Le jour du Covenant (mî^^d^) 607
b) La création: des actes humains:
1. Leur attribution k Dieu 610
2. Leur attribution'à l'homme : le fiât .... 612
3. L'attitude de Dieu à l'égard des hommes : doc-
trine mystique de la souffrance ; ses origi- nes ; questions soulevées 616
c) La genèse de la création (bad' al khalq). . . . 629
534 CHAPITRE XII
III. — Théodicée (tawhîd, sifât) :
a) La confession négative de la transcendance divine :
1. L' 'aqîdah d'al Hallâj 635
è) Sa doctrine des attributs divins . 645
c) La science et la puissance ; la parole ; l'esprit . . 652
IV. — Eschatologie {wa'd, wa'îd) :
a) La promesse et la menace divines :
1. La notion du repentir : ^azt'èa/j 664
2. Le rôle de la foi ; la condition de la menace
divine 668
b) Les fins dernières :
1. Ce qui survit de l'homme après la mort. , . 678
2. Les Assises du Jugement : le Juge, ses asses-
seurs 682
3. Les deux récompenses, en Paradis .... 689
V. — Juridiction {bayn : asmâ wa ahkâm) :
a) Le « voile du nom » :
1. La définition du mot comme nom 698
2. L'acception du nom comme statut juridique . 706
3. La prédication légitime du nom comme juge-
ment pratique 710
b) Tableau des preuves préconisées au m'/ix' siècle : 714 VI. — Politique [amr, nahxj) :
a) La loi {sharî'ah) :
1. Origine divine de l'autorité : la bay'ah , . . 719
2. L'imamat 725
b)hes relations politiques d'al Hallâj avecles Qarmates. 730
c) La mission de prophète :
1. Le rôle d'envoyé 736
2. L'enchaînement des missions 740
3. salât 'ald'l Nabi ; shafâ'ah 744
d) La sainteté :
1. Sa définition ; la ghibtah ; questions posées . 747
2. La doctrine hallagienne du dévouement à la
Communauté 755
3. Ses conformités avec le type coranique de Jésus. 768
THÉOLOGIE DOGMATIQUE 535
L'exposé de la théologie dogmatique d'al Hallâj (1), après un examen du matériel métaphysique utilisé (/), aborde ici, dans l'ordre même que leur assigne l'ouvrage fondamental et resté classique (2) du mo'tazilite AboiVl Hodhaylal 'Allâf, (-{- 235/849) : les cinq bases « osoùl khamsah » :
(II) Qadar wa'adl. Prédestination et justice (Cosmogonie).
(///) Taivhidwa.nfât.Unilé divine et attributs (Théodicée).
(IV) Wa'dwa iva'id. Promesse et menace (Eschatologie).
( V) Bayn ; asmâ wa ahkâm. L'entre-deux : des noms aux jugements (Juridiction).
(VI) Amrwanahy, Commandement et interdiction (3) (Politique).
Sous chacune de ces rubriques, on trouvera pour la pre- mière fois groupées (4), à leur place et sous leur nom d'ori- gine, les « questions » classiques de la scolastique musul- mane, masâ'ïL
(1) Le fait que Kalâbâdht et Qoshayrî ont dû placer une *aqtdah d'al Hallàj en tète de leurs ouvrages (cfr. ici, p. 405) prouve qu'il était alors le théoricien reconnu, en matière de dogme, du soufisme {fï kalâm laho, dit le premier, référant à un passage de ses ouvrages).
Al Hallâj s'est fait, par désir apologétique, motakallim, théologien dogmatique. Comme Mohâsibî et Tostarî, avant lui, comme Ghazâlî, plus tard, il essaie d'asseoir sur des bases dialectiques fermes l'exposé de son expérience mystique. Audace blâmée par Jonayd, qui condam- nait, comme Saqatî et Ibn Hanbal, les travaux critiques de Mohâsibî sur le mo'tazilisme (cfr. Makkî, qoût, I, 158), et qui disait : « Le moin- dre danger de la spéculation sur le dogme, c'est qu'elle dépouille le cœur de la crainte de Dieu ; et, quand le cœur est sevré de la crainte de Dieu, il perd la foi » (Harawî, dhamm al kalâm, f. 112'' ; Tagr. Il, 178). Cfr. suprà, p. 60. Ghazâlî, monqidh, 21-22.
(2) Kilâb al hojjah (Malatî, 66).
(3) Autre titre : risâlah iva imâmah : prophétie et imamat (Autorité).
(4) Les répertoires occidentaux, comme ceux de Horten (cfr. Der Islam, 1912, p. 405), les dissocient suivant un plan à eux. Cfr. Mas'oùdî, moroûj, VI, 20 seq. et Nasafî, 6a/ir al kalâm, éd. Bagdad, p. 75.
536 CHAPITRE XII
I
Examen des données métaphysiques employées.
a) Le but : la connaissance de Dieu ; ses voies.
1. Les deux voies naturelles et la troisième voie.
Le Qor'ân établit d'abord l'existence de Dieu par le fait de la révélation ; fait qu'il matérialise sous l'aspect d'une « lec- ture » inattendue et incomparable ; il insiste sur la considé- ration du changement, il rappelle que tout est vivifié un moment, puis, que tout périt (1) ; comment les astres s'élè- vent et déclinent [âyâl al layl wa l nahâr)^ pourquoi des cités puissantes ont été détruites. 11 fait appel au témoignage du cœur (2), où la révélation s'imprime, soit par une emprise intérieure, possession directe, aveugle et sourde [wahy)., — soitpar un signe repérable, annonce énigmatique, « derrière un voile », — soitpar transmission authentique, ministère d'un ange ou d'un envoyé (rasoûl) (3).
Tl insiste sur cette dernière voie, invoque l'unanimité des données révélées ainsi, qui se sont transmises, à travers les générations, par tradition orale, khabar. C'est la voie de l'audition, sam\ du mémento, dhikr.
Il conduit aussi Mohammad dans la seconde voie, celle du raisonnement qui résout les énigmes et les objections, explique les signes : l'exhortant à inciter les hommes à prendre comme lui connaissance (4) des données de la révé- lation en ce qui les concerne, atha7\ à se rendre compte, nazar., de leurs conséquences logiques, de leurs applications
(1) Qor. XXXI, 9.
(2) Qor. L, 36 : liman kâna laho qalbÔ.
(3) Id. XLII, m.
(4) « li qawm ya'qiloùn ».
THÉOLOGIE DOGMATIQUE 537
prochaînes à leur égard, salut ou damnation; afin qu'ils se jugent sur leurs devoirs envers Dieu, et les remplissent, avant la mort et le Jugement.
Enfin le récit de l'entrevue entre Moïse et un personnage anonyme (al Khidr), confident des plus secrets desseins de Dieu (1), implique l'existence d'une troisième voie, purement et constamment surnaturelle, faisant accéder au mystère divin lui-même (ghayb) : « la science de chez Nous », 'ilm min ladonnâ (2).
La première voie fut vénérée, avec un piétisme exclusif et formaliste, par les traditionnistes, Hashwiyah ; la seconde, préférée, avec un intellectualisme de philosophes, par l'école Ihéologique des Mdtazilah ; la clef de la troisième fut re- cherchée, suivant des méthodes différentes, parles/mamz'/e^ extrémistes et par les mystiques sunnites [Soûfiynh).
Voici comment le problème de la science se posa devant eux :
'ilm: la science coranique, l'ensemble] des données révé- lées, ce que le croyant doit savoir, notamment sur Dieu. Elle a deux aspects :
1° Hlm daroûri, science innée, première empreinte (fîtrah) de la loi naturelle [sha?''), gravée dans toute âme nouvelle- ment formée ibadihi), ravivée par la lecture et la pratique du Qor'ân. Dictée à l'ouïe (sam\ khabar^ istimâ') et aux autres sens [ihsâs, tawajjoh), par une action pénétrante du dehors [khâtïr)^ elle enseigne {taUm) à notre mémoire (intellect passif) des associations toutes faites, fournit au croyant des représentations brutes, cadres pour l'intelligence (tasaivwor ; ens dictum simpliciter), lui trace des points de repère, buts
(1) Voir l'analyse des versets XVII [, 78, 80, 81 par Hallâj (ap. Solamî).
(2) Qor. XVIII, 64 ; cfr. Hallâj, ia Qor. XXV. 60 (ap. Solamî), et Fâris, in XVIII, 63 (ap. Baqlî).
538
GHAPITRB XII
pour sa volonté {na??, rasm) == ma'rifak *oidâ (Ghaylân) = Hlm al ajsâm ival alwân (Nazzâm) = 'Uni idtirâr bi khâtir (Jâhiz) (1).
2° ^ilm nazarîy seconde science (1 bis), acquise [moktasab)^ engendrée même [tawlîd) par le travail interne (athar, nazar) de la réflexion (2) sur les données fournies par la première science; par la recherche (bahth). Les mo'tazilites (et d'au- tres) en font le résultat de l'activité d'un agent intérieur, ^aql, la raison, l'intellect actif, capable d'élaborer des com- paraisons entre qui choisir [ens secundum quid)^ des relations causales, des jugements non seulement théoriques, mais pratiques (ia^diq =:md qoid thàm) (3), affirmations de possi- bles, ou de futuribles à vérifier. Cette science des moyens invoque des preuves, elle passe du général au particulier, de l'implicite à l'explicite, de l'impersonnel à l'individualisé (ou inversement), afin d'atteindre les essences des choses (idrâkhaqaiq al ashyâ] ; ce qui lui fait donner aussi le nom de ma'rifah (3 bis)^ compréhension, sagesse = ma'rifah thâ- niyah (Ghaylân) = 'ilm al Qadîm loaldrâd (Nazzâm) = ^ilm ikhtïyâi\ mdrïfah bidalîl {ièihiz].
Ces deux sciences, ces deux voies naturelles pour la con- naissance de Dieu nous le font-ils connaître réellement? Non, puisqu'elles ne nous renseignent pas sur son ipséité ni même sur ses desseins à notre égard. Aussi les Imâmiles extrémistes réservent le nom de ma'rifah (4), sagesse, à l'il-
(1) Shahrast, I, 194 ; Jorjânt, 86 ; farq, 125.
(1 bis) Cf. les « 4 sciences » (Ghazâlî, mihakk al nainr, 103).
(2) Ses étapes selon Hallâj : istinbât, darak, fahm, 'aql (Sol, in Qor.
1,1).
(3) 0pp. à iasawwor. Cfr. Shahrast, III, 94. Hadd = kayfiyah des
ibâdites.
(3 bis) Ghazâlî, mihakk al nazar, 82, 92, 110.
(4) Ghaylân, Ghassan, Aboû Hanîfah et Marîsî, isolant mà'rifah de 't/m, posent d'abord mà'rifah =: 'imân (cfr. farq, 190-192). Ibn Kar-
THEOLOGIE DOGMATIQUE ÔSq
lumination initiatique arbitraire dont leur Imâm investit ses adeptes. Divers sunnites morji'tes, d'autre part, observèrent que notre compréhension adéquate des choses ne succédait pas seulement à la sincérité (^idq) (1) observée par la cons- cience pendant toute la durée du travail de la réflexion, — mais surtout à l'assiduilé fervente et pratique de la foi (2). Qu'elle s'y surajoutait, non comme une conséquence inévi- table, — mais comme une grâce congrue. C'est une intégra- tion, le don d'une coordination habituelle des résultats de la seconde science ; non pas telle ou telle synthèse artificielle, «M A'e;?.? {/fme, mais leur répartition harmonieuse organisée, enfin trouvée par rapport à un principe dévie central qui nous les conserve nôtres, qui nous en remémore, le cas échéant, la valeur d'usage exacte : leur détermination totale, au sens composé, en vue de Dieu. Ainsi transformée, notre science rationnelle cesse d'être la perception de fantômes [idrâk al shabah, al mithâl) (3) et devient la perception trans- figurée d'attestations divines [idrâk alshâhid) (4). Telle est la conclusion de Mohâsibî et de son école. Comme les Mo'tazi- lites et les Hanbalites (5) (et contre Jahm et les pré-ash'ari- tes), il admet l'existence simultanée des deux sciences ; mais contre ces deux écoles, il affirme que : ni la tradition passive- ment reçue [sam\ naql)^ ni le mécanisme de la raison raison- nante ne suffisent pour nous procurer une réelle et intime compréhension de ce Dieu qu'elles ne nous font connaître qu'indirectement et ad extra ; et qu'il peut exister, en dehors ,
râm, le premier, distingue : al ma'rifah laysat minal'îmdn (Dhahabt, ms. Leid. Or. 1721, f. 75«).
(1) Mohâsibî, ap. Sarrâj, loma' 217 : mashoùb 'alâ jamî' al ahwâl,
(2) Cfr. les Noseïris (ms. Paris, 14o0, f. 3^).
(3) Cfr. Jonayd.
(4) Cfr. suprà, p. 497.
(5) Et Fakhr Râzî (Jorjâaî, shark mawâgif, 16), après Jowaynf, Ghazâlî.
5^0 CHAPITRE XII
un troisième mode, surnaturel, de connaissance éminente de Dieu : pure grâce de Sa part, pur consentement de notre part : « Il ne nous la doit pas, et nous ne la Lui devons pas » (1 ) ; et que c'est la découverte, désirable entre toutes, de cette sagesse, mdrïfah^ qui est le premier a devoir d'obli- gation » (2) du soûfî.
Hallâj part exactement des prémisses de Mohâsibî ; il af- firme à maintes reprises : a) qu'il existe deux voies, tarîqa- tân (3), également normales, amenant à la connaissance de Dieu : voie des sens et voie des idées, autorité de la tradition (sayr) et libre jeu de la réflexion [lahw)^ — jardin du dhikr et périple du fikr^ vestige (4) et analogie (5), fait du miracle divin et évidence de la démonstration humaine.
b) Que ces deux voies convergent (6) seulement à nous indiquer le Point primitif [noqtah adiyah)^ le fait de la créa- tion, par la négation de toute créature interposée : compré- hension de l'origine, sagesse primitive [ma'rifah adiyah) dont tout le contenu se réduit à avouer qu' « il n'y a pas de divinité, excepté Dieu ».
(1) « Ce n'est ni une créance de la créature sur le Créateur, c'est Lui qui serait qualifié pour la révéler à son créancier ; ni une créance du Créateur sur la créature, Il est trop juste pour la mal traiter » (ap. Sha'râwî, I, 74). Cfr. les deux qiyâm (ici p. 302).
(2) Par vœu. Noùrî (ap. Sarrâj, loma\ 40-41). Ibn Adham en parle le premier {'ârif, ap. 'Attâr, tadhk., I, 93). Puis Karkhî {id., I, 272), Misrî (Sh. tab. I, 70) et Dârânî ('Attâr, /. c, I, 235).
(3) Akhb. 34, 15 ; cfr. ici, p. 124 : corr. n. 4 ; la lecture « lahw » est confirmée par deux pièces de vers sur le « jeu de la raison » {man râmaho... ; et lasto bi'l tawhid alhoû...). Taw. V, 18. Cfr. awhâm et afhâm (Taw. X, 23 ; cfr. 22).
(4) Où il fait rentrer les visions miraculeuses, kawâshif (Taw., X, 20 ; cfr. Wâsitî : ma'rifah... hissa, ap. Tahânawî, p. 996).
(5) Où il fait rentrer les extases intellectuelles, ma'ârif [id. ; cfr. Wâsitî: Hlm... khabara).
(6) Cfr. suprà^ p. 56, et Taw. XI, 11. Ne pas regarder dans « l'entre- deux » (Akhb. 34). Cfr. qoût, II, 79.
THÉOLOGIE DOGMATIQUE 54 1
c) Qu'il ne faut pas confoudre ces deux voies avec leur but (1) ; ni s'arrêter en chemin. Cette connaissance négative el nue de Dieu, telle que la shahâdah nous la procure, ne nous Le montre que par rapport à nous, non par rapport à Lui. Nous n'atteignons Sa réalité intime, ni en récitant le H qui Le signale à notre attention, — ni en épurant, par voie de rémotion, le pur concept de YUn^ qui Le présente à notre esprit. Il reste inaccessible et transcendant.
(/) La foi et l'espérance subsistent, pourtant, nourries par un désir, trompées par cette « tromperie » apparente de Dieu, qui, par la révélation, nous induit à imaginer qu'il pourrait y avoir une voie normale d'accès de nous à Lui. Tel est notre libre désir : « Celui qui dit connaître (suffisam- ment) Dieu par son œuvre, c'est qu'il se suffit de l'œuvre sans le Maître d'œuvres (2) », — « Celui qui cherche Dieu à la lueur de la foi, est comme celui qui cherche le soleil à la clarté des étoiles (3) ». — « Celui qui dit : « Comme 11 me connaît, je Le connais » fait allusion à la science (que Dieu a des créatures), et se reporte à Son dessein premier (de Créateur) ; ce dessein premier va hors de l'essence ; or, com- ment ce qui quitte l'essence atteindrait- il à l'essence? (4) »
e) L'homme ne peut y accéder par sa seule volonté (5), même en se renonçant, en s'acharnant à s'humilier (6), en
(1) M Purifie ta langue de son dhikr, et ton cœur de Son fikr » (Akhb. 19) : « la méditation (curieuse) sur Ses attributs, l'investigation dans Son essence, l'articulation (vaniteuse) de l'affirmation qu'il existe, sont un grand péché... ». C'est la pure doctrine, sunnite et hanbalite (Gholàm Khalîl, skarh al sonnah : alfikrah fî Allah bid'ah).
(2) Taw. XI, 8.
(3) Sol. tabaqât.
(4) Taw. XI, 10.
(5) Contre ce que disent les gnostiques, ismaëliens, philosophes plo- tinisants, illuministes (ishrâqiyoûn), théosophes, partisans de l'extase « naturelle > (kashf, tajalll) : idrdk bïl lasflyah.
(6) Taw. VI.
542 CHAPITRÉ in
se détruisant (i). « Comment pourrait-il y avoir mélange entre Dieu et Sa création ? » — u II n'y a pas de nexiis logi- que entre le transcendant et le contingent (2) ».
/) C'est une communication surnaturelle, une grâce réelle et ineffable, sanctifiante, une sagesse expérimentale, amou- reuse, dont le premier effet est que le « fiat » de Dieu se forme en nous ; par une transposition spontanée, interversion libre des rôles (non permutation logique des rapports) (3).
g) Cette grâce, cette a sagesse » ne contredit pas les deux voies naturelles, elle les confirme hic et nunc; nous dispen- sant non seulement l'interprétation, mais le don des mira- cles ; non seulement l'intelligence, mais la mise en œuvre des arguments décisifs (ishârah^ hojjah, soltân). C'est la science finale, nous donnant, à l'instant même de leur réalisation, la compréhension simple des relations réelles entre les cho- ses périssables, leur convenance divine ; nous reliant cons- tamment, à travers la trame des événements, au dessein suivi de Dieu, par une participation à Sa vie essentielle. Elle est unique, elle provient de l'Unité divine elle-même, c'est leprincipe simple de toute détermination (4).
2. Tableau des questions discutées.
'Aql : raison, intellect actif ; /° en usage et tradition : le bon sens, Ai/m, en germe chez les petits enfants, manquant aux irresponsables, fous et idiots (opp. jonoûn^ Jiomoq) (5) — 2" d'où, en droit : ce qui met à même de remplir les obliga- tions légales [manât al taklîf), ce qui rend sociable (ahli- yah) (6) — S" Ash'arites = ba'd'oloûm daroûriyah : certaines
(1) Contre fana de Bistâmî : critiqué par Kharrâz.
(2) Gfr. infrà, ses deux 'aqîdah.
(3) Taw. XI, 13, seq.
(4) Taw. XI, 19, seq.
(5) Mohâsibî, /. c, infrà; Hazm, IV, 191.
(6) Çalabî, hanéfite; ap. Qâsimî, osoî2/, 22.
THÉOLOGIE DOGMATIQUE 543
connaissances innées dans l'homme = attribut adventice et sans durée Çarad)^ sans antécédents ni conséquences natu- relles (1) — {" IIanbalites = certaines connaissances innées ; ni attribut, ni substance : grâce permanente [fadi, mawloûd], non acquise, distribuée en quantité différente suivant les individus ; c'est en tenant compte de cette proportion que leurs œuvres seront jugées par Dieu (2) — a" Dâwoûd-ibn Mohabbir : instinct de certitude (gharîzah yaqin), permettant de se repentir et d'être sauvé (3). Mohâsibî précise : « ins- tinct déposé par Dieu chez ses créatures soumises à l'épreuve de Le servir : par lui, Il fait trouver la preuve à ceux qui ont atteint l'âge de discrétion, leur fournissant en leurs raisons un avertisseur (invisible), qui promet et menace, commande et interdit, dissuade et conseille ». « C'est l'instrument me- nant à la compréhension » (4). C'est l'outil de l'obéissance à la Loi, il ne peut atteindre à la divinité (Ibn 'Atâ) (5). Sans l'esprit [roûh), Y' aql esi inopérant (Kharrâz) (6) — 6" (His- hâm) : lumière naturelle placée par Dieu dans le cœur, comme un instinct de la vision — 7° (Imâmites) : compréhen- sion [marifah) accordée par Dieu, variant suivant la science acquise, montrant ce qui sert et ce qui nuit (7) — 8^ Zâhirites : résultat acquis par l'accomplissement des actes licites et la fuite des péchés (8) — 9" Mo'tazilites : guide intérieur unique
(1) Ibn al Farrâ, L c, infrà.
(2) Gholàm Khalîl, /. c. ; recopié par Barbahârî, 'aqîdah, Gfr. Ibn ai Farrâ, moHamad.
(3) Ap. Kitâh al'aql, résumé de Maysarah, réédité par Ibn Rajâ et Sinjârî (Dhahabî, i'tidâl, I, 324 ; III, 222).
(4) Mohâsibî, mâ'iyat al 'aql wa ma'nâho (ms. Faydiyah, 1101. VIII). Thèse célèbre, mal résamée ap. Mâlinî, arba'în ; Dhahabî, 'iôar, s. a. 243 ; Ibn al Jawzi, dhamm al hawà ; Sobkî, s. v,
(5) Gfr. Taw., p. 195 ; Tirmidhî, 'ilal, 200^ Misrl (Sh. tab. I, 70).
(6) Ici p. 483, n. 3.
(7) Ges deux thèses sont citées par Mohâsibî, l. c. ^8) Hazm, l. c.
544 CHAPITRE XII
{dalîi; selon Wâsil) ; acte permanent et autonome, opération de l'esprit dans le corps, essence spirituelle de l'homme se construisant ainsi elle-même: lobb^ safwat al roûh, mnf al roûh fil badan (1). Il discerne le bien du mal {taqbih wa tahsîn). Il choisit et suit ce qui convient le mieux — iO" Qar- mates : 1" émanation divine (entre le noûr 'alawî et nafs) — //'' Philosophes : intellect actif, 'aql fd'âl: substance [jaw- har) séparée, immatérielle ; 1'^ émanation divine, qui émane dans l'homme une 2^ émanation, ^aqlmostafâd^ qui agit sur une 3% passive, ^aql bïl mïlkah (mémoire) pour engendrer les idées. Il y a dix 'a^/, sortes d'anges, mettant en branle les neuf cieux (2) — iT Ishrâqiyoûn : même théorie sous d'autres noms, empruntés aux Qarmates (3) : T^ émanation : noûr qâhir^ QiT : noùr maqhoûr (4).
Discussion des précellences suivantes :
"^aql >» shar' (sam' , Hlm) . Précellence de la raison sur la Loi (= la tradition et la révélation) : Imâmiyah, Ibâdites, Mo'ta- zilah — contre Hashwiyah, Hanéfiteset mystiques (5).
ivojoûb alfikr [fahs^ istïdlâl, iHibâr) qabl al sam\ Obligation de réfléchir avant de déférer à l'autorité de la tradition — Bayhasiyah, Imâmiyah, Mo'tazilah, Najjâriyah, Karrâ- miyah (6), Tabarî — contre Dirâr, Ibn al Râwandî, et la plupart des Sunnites (7).
(i) Mohâsibî, /. c. ; Jâhiz, mokhtârât, II, 240; I, 43 (islibânah).
(2) Tahânawî, s. v.
(3) Cfr. Malatî, /. c, f. 34.
(4) Tahânawî, s. v.
(5) Nasafî, bahr al kalâm^ 5. Cfr. Aloûsî, jaldf 234 seq. et infrà^ § V ; corr. dans ce sens Taw., p. 187, en bas.
(6) Qui soutiennent qu'il est obligatoire de croire aux données de la raison (Shahr. I, 153). Jahm et Aboù Hàshim {farq, 312) recomman- dent même le doute méthodique initial, comme Descartes.
(7) Hazra, IV, 35 ; Shahr. I, 68, 114-115 ; Jorjânî, 629.
THÉOLOGIE DOGMATIQUE 5^5
'ilm naèarî >- 'iim daroiirî. Supériorité de la science acquise sur les données (de la loi naturelle). iMolazilah, Zàhirites, Jovvaynî, Ghazàlî, contre les Hanbalites ; les Ash'arites (pour qui tout est inné). Pour Hallàj, elles se valent.
fi/cr >> d/iikr. Précelleuce de la réflexion intellectuelle sur la récitation mnémotechnique — Mo'lazilah, Imàmiyah, Fàrisiyah, Ulihàdiyali. — Au rebours des Hashwiyah, et de la plupart des mystiques. — Uallâj ne tranche pas (I).
taqblh tca tahûn ni '(ujl. La raison est capable de séparer {ho/cm) le bien (= ce qui convient) du mal — Mo'tazilab, Karràmiyah, Hanbalites, Mohàsibî, Màtorîdî — contre les Ash'arites (la raison n'a que la perception, idrâk) (2).
rïàyal al ad ah lïVaql. La raison seule suffit pour choisir et pratiquer le parti qu'elle a jugé le meilleur (= le plus pro- fitable) — MoUazilah — contre Karràmiyah et la plupart des Sunnites (3).
'ïlm ^mdrïfah. Précellence de la science discursive sur la compréhension (la sagesse). Jonayd, Qàsim Sayyàrî — contre Dhou'l iNoûn, Mohàsibî, Hallâj (4).
ma'rifah, compréhension, intuition, savoir, sagesse. En grammaire : la détermination (avec l'article ; opp. nakï- rah) ; le nom qui désigne la chose en propre (cfr. en droit : la coutume reçue, la loi non écrite ; 'orf\ madahah morsalah). — Qu'est-ce que [Qjna'rifat Allah, l'intuition de Dieu (5)? r Morji'tes : acte de foi, "unâa\ fondé sur la pratique du
(1) Réponse à Fâris (in Kalabâdhî, ta'avrof).
Gorr. Taw., p. 156. — Si le dhikr cesse, avant la résurrection, — le fîkr ne subsiste alors que pour les damnés (Taw., VI, 15; et Sol. in Qor. III, 188). Gfr. chap. XIII.
(i) Hazm, III, 164; Shahr., I, 153.
(3) Mêmes références ; et ici p. 505.
(4) Taw., p. 194-195; Badqli, in Qor. XLVII, 2i ; Wàsitise rétracte.
(5) Cfr. ici, XII-iv {ro'yoh).
35
5^6
CHAPITRE XII
culte, la récitation fervente des noms divins coraniques. — 2° fmâmites : profession de foi fondée sur la réflexion et les preuves. — 3° Ash'arites : science explicite des attributs divins, un à un (i). — 4° Jalim, Mo'tazilites, Najjâriyah ; résultat de la « via remotionis » (tanzîh) : conception abstraite de l'idée pure del'essence divine. — D'où S^Bistâmî, Jonayd, Khawwâs, Sayyârî : puisque le mdrïfah^ la compréhension, est Yïlm aVïlm (science de la science, l'état de celui qui se sait connaissant) (2), — et qu'il n'y a marifah que d'objet déterminé et défini (3) : cette conception abstraite de l'es- sence est une intuition purement négative et décevante, inférieure à la science discursive dont elle dérive. — 6° Il existe bien une intuition positive de Dieu. — Emanée de l'es- sence divine ; l'on y atteint par une illumination initiatique (Noseïris, Druzes), ou par un entraînement ascétique (Ibn Masarrah, philosophes). — 7» Tostarî : Le croyant peut rece- voir immédiatement en soi la grâce d'une certitude positive suréminente, le renseignant sur Dieu : mokâshafah bimobâs- harat al yaqin (4). — 8° Hallâj : la Sagesse est une réalité spirituelle transformante, une substance divine, jawhar rabbânî ; conçue en nous, par voie surnaturelle, c'est la substance purifiée de notre vie cultuelle: « aVoboûdïyah jawharah^ tatahhorhâ al Roboûbiyah » (Wàsitî) (5).
ma'rifah kasbiyah aw daroûriyahl Cette intuition est-elle acquise ou innée? Innée : c'est-à-dire instinctive et inévita- ble en ce monde et dans l'autre (Jâhiz (6), Aswàrî, Ka'bî). Acquise en ce monde (innée seulement pour les imams, dit
(1) Fatq. 190-192. Cfr. déjà Ibn 'Abbâs (in Qosh. 4).
(2) Accident d'accident, hâl (Hazm, IV, 208). (3)Sarrâj, loma\ 224, 362.
(4) /rf., 70.
(5) Baqlî, in Qor. XXXVI, 61.
(6) Pour lui, ce qui ne s'est pas réalisé n'était pas réalisable.
THÉOLOGIE DOGMATIQUE 547
Aboû'l Jaroûd) et innée en l'autre (Imàmites). Selon Mohà- sibî et Hallàj, c'est un commun élan d'amour (1).
ma'rifah wâjïbah ? Quelle sorte de nécessité y a-t-il pour le croyant à rechercher celte intuition de Dieu? Obligation rationnelle i^aqla: Hanéfites, Mo'tazilites). Devoir légal (o./iff- r'«: Ash'arites). Engagement professionnel, par vœu per- sonnel [fard'. Noûrî, mystiques) (2). Il n'y a pas obligation (Thomàmah, Ibn al Ràwandî) (3).
3. Textes hallagiens :
I. Man râmaho... :
Celui qui, ayant soif de Dieu, prend la raison pour guide, Elle le mène paître dans une perplexité où elle le laisse s'ébattre. Il vieillit dans l'équivoque de ses états de conscience Et finit par se demander, perplexe : « Existe-t-Il ? » (4)
II. Lasto bï'l tawhîdi alhoio,.. (5) :
Non, je ne me joue pas du taiohid ; et pourtant mon «je » le néglige. Comment peut-il le négliger, s'en jouer? Ah ! sans doute, mon «je »
[c'est Lui ?
III. Fragment ap. Kalâbâdhî [ta'arrof) (6) :
« Nul ne Le comprend, sinon celui pour qui II se rend compréhensible; nul n'affirme vraiment que Dieu est unique, s'il ne l'unifie pour Lui ; nul ne croit en Lui, s'il ne lui en fait la grâce ; nul ne Le décrit, s'il ne rayonne dans sa cons- cience intime. »
(1) Où Dieu et l'âme se reconnaissent. Cfr. ici, infrà.
(2) Sobkî, 11,266 ; Sarràj, loma', 40-41. Ibn al Dà'î ; Rowaym (ap. Qosh. 4).
(3) Il n'y a obligation, selon lui, à écouter (samâ') la parole divine que quand Dieu nous en parle ; c'est le principe des mystiques {samâ\ oratorio) : épier l'indication de la grâce.
(4)Taw., p. 196.
(5) Kalâbâdhî, ta'arrof; ms. Londres 888, f. 342^ ; cfr. ici p. 524.
(6)Taw., p. 191.
5^8 CHAPITRE XII
IV. Lam yahqa... ( j) :
« — Si Mohammad n'avait pas été envoyé, la démonstra- tion n'aurait pas été complète, pour toutes les créatures, et les infidèles auraient espéré échapper à l'enfer »), disait-il ; et il récitait:
[Désormais], il n'y a plus, entre moi et Dieu, d'explication (inter-
[médiaire), Ni preuve, ni miracles ne servent plus, pour me convaincre ! Voici la transfigurante explicitation des feux divins,flambants(en moi), Brillants, comme l'orient d'une perle, irrécusables I La preuve est à Lui, de Lui, vers Lui, en Lui, C'est l'attestation même du Vrai, que dis-je, une science qui s'expli-
[que elle-même. La preuve est à Lui, de Lui, en Lui, et pour Lui, En vérité, nous L'avons trouvé, au moyen de la révélation de Sa
[séparation d'avec nous ! On ne saurait déduire le Créateur de Son œuvre ; Vous, êtres contingents, vous en êtes déviés (2) de toute la largeur
[des temps. Telle est mon existence, mon évidence et ma conviction, Telle est l'unification (divine) de mon tatvhîd et de ma foi ! Ainsi s'expriment ceux qu'il isole en Lui {ahl al infirâd bihi), Qu'il doue des dons de la sagesse, en secret et en public. Telle est la consommation (3) de l'existence de ceux qu'il extasie, Fils de l'apparentement, mes compagnons, mes amis 1 »
V. Wahhadanî Wâhïdî... (4) :
Voici que mon Unique m'a unifié, en (m'inspirant) un lawhîd véri-
[dique ; Pour aller à Lui, aucune des routes tracées n'est la Voie (5) !
(1) Kalâbâdhi, ta'arrof; Ibn Jahdam, bahjah (extr. ap. Ibn Khamîs, manâgib).
(2) Gomme des flèches.
(3) Hadhâ iv)joûdo (loûjoûdi'l wijidina laho) : littéralement l'exis- tentialisafion. tCalâbâdhî commente: le « brûlement ».
(4) Taw., p. 138, corr. au !«' vers ; bi tawhîdi. Le second vers est : « howa Haqqô, wa'l Haqq lil Haqq haqqô * molbisô, wa labso'l haqâ'iqi Ilaqq ».
(5) tarq (cfr. vers de Nasrâbâdhl, ap. Baqlî, in Qor. LUI, 43 ; Ibn
THKOLOGIE DOGMATIQUF Ô^Q
Il est la Vérité, Dieu est pour Dieu la Vérité
Qui revêt (la création) d'un vêtement (de f^Moire), et ce vêtement [(glorieux) des réalités est, lui aussi, Vérité ! Déjà rayonnent Ses irradiations éclatantes, Et de leurs flammes jaillit, en scintillant, l'éclair f
b) Les différentes espèces de choses nommables. 1. Les postulats de la scolastique islamique.
Le Qo'rân ne parle que de « choses » singulières, particu- lières, concrètes, en acte : ashiyd (sg. sfiai/').\[ n'y est pas question d'essences abstraites, de genres ni de possibles, et les attributs divins eux-mêmes n'y apparaissent que sous forme de noms efficients : asmâ(sg. ism). Ex. : le Puissant, le Tueur...
La tendance première des théologiens fut de réunir sous le nom de « corps » ajsâm {^^.jism), quantités mesurables, — tous les objets déterminables que le Qor'ân isole. Dieu est la « chose » par excellence (1), donc un « corps », pour les vieux imâmites, de Hishâm (2) à Nâshî ; pour les vieux sunnites, aussi, de Moqâtil à Ibn Hanbal : parce qu'absolu- ment dense (samad = là jawfa laho) ; « un quant à sa subs- tance [ahadi al j awhar) », dit Ibn Karrâm.
Jahm, le premier, mit Dieu absolument à part de toutes choses (3) ; non pas tant comme un Etre transcendant, — mais simplement comme un concept : une idée, d'un Créa- teur, activité universelle, cause générale des changements,
Jahdam, bahjah, chap. VI, traduisant Joann., XI, 25 : tarq al haqq).
(1) Nâshî (ap. Tahânawî, s. v. shay').
(2) Un « corps » qui n'est astreint à aucune grandeur relative, mais qui établit les proportions de toutes choses (Qot. mokht., 60) r:r ma qâma binafsihi (Moqaddasî, bad\ éd. Huart, I, 39), Un lingot dense, sans creux ni pores {id., I, 8o).
(3) Dieu n'est ni une chose, ni une non-chose (Hazm, IV, 205) ; les mo'tazilites atténuent : « Dieu est une chose, pas comme les choses » {'aqîdah, ap. Ash'arî, l. c).
55o CHAPITRE XII
auteur immédiat des accidents, qui manipule k son gré les substances sans se laisser saisir sous aucune = l'Absolu, al Qadîm, par opposition au contingent, hadath, littérale- ment « Tévénement », « ce qui passe ».
LeQor'ân, dans ce contingent incessamment renouvelé, avait signalé certaines « acquisitions » permanentes, com- muniquées à rhomme par l'usage et l'usure même des cho- ses périssables : ar^zâq. Comme les sensations (couleur, odeur, saveur, son, figure) ressenties sur notre peau; comme les données de science, les vertus, les inspirations (les âmes même), empreintes dans notre cœur. A côté des as77iâ, noms, — les grammairiens définirent les §ifât, adjectifs, attributs. Et les théologiens posèrent, à côté des corps, définis subs- tances (jawâhir), ces qualités générales, définies accidents [a'râd). Ceux-là étant perçus par les sens de façon momen- tanée, mais positive, comme ayant une figure (soûrah), cel- les-ci étant enregistrées dans le cœur de façon permanente mais mentale, comme une simple acception, une idée [ma'nà).
Voici leurs postulats fondamentaux, qui dominent tous les systèmes des motakallimoûn, du ii* au v® siècle de l'hé- gire (1):
a) Toute chose créée est quantifiée par cela même [wad\ tayîn, raqq al kawn), donc (2) nécessairement [talâzom] étendue (kawn, tahayyoz) ; elle est un corps, un composé discontinu d'unités en nombre limité, substances élémen- taires ; jaivhar fard ^= dharrah (atome) = noqtah (point). L'atome est l'élément ultime et l'unique réalité de toute
(1) Ce résumé est le remaniement du résumé de S. Munk (trad. de Maïmonide, Guide des égarés, 1, 375, seq...), qui avait utilisé des sour- ces très indirectes ; au moyen du tuhâfot de Ghazâlî et des khilâfiyât d'Ibn Kamâl pâshâ. Selon Bâqillânî, ces postulats sont co-essentiels au dogme révélé (Ihn Khaldoùn, moqaddamât, éd. 1322, p. 253).
(2) Sic. C'est là le postulat d' 'Allâf et d'Ash'arî.
THéOLOGIE DOGMATIQUE 55 1
chose créée : en dehors de hii, il n'y a que le vide [khalâ). Deux atomes ne peuvent coexister dans le même lieu ; il ne peut y avoir compénétration, ni conjugaison réelle (1) de deux substances (il n'y en pas d'immatérielles).
b) Dieu, qui crée et recrée à chaque instant (2) les atomes, les assemble à son gré, tajwîz (3), pour former des corps, ajsâm, assemblages discontinus, momentanés.
r) Ces assemblages n'ont aucune existence propre (seul l'atome existe) (4) : nafij almaqâdh\ Ni les rapports de situa- tion perçus, ligne, plan, volume, espace géométriques, — ni les ensembles numériques, entiers ou fractions (quantités discrètes), — ni les relations analytiques (unité, pluralité, perpendicularité, obliquité, propriétés des polygones ins- crits), — ni les états naturels (perception, santé, maladie),
— ni les périodes cycliques (saisons, révolutions des astres),
— ni les personnes n'existent : ce sont des néants [^adamïyât^ no'oift), des accidents subjectifs sans durée, surimposés à cet atome qu'est notre cœur, en simultanéité fortuite avec certains accidents objectifs (wojoiidïyât^ sifât).
(I) La science physique est la somme virtuelle des vingt et un accidents objectifs (mawjoûdât, et de leurs vingt et une négations) que nous percevons comme relatifs à des atomes extérieurs: l'étendue, la couleur, le son, la saveur, le par- fum, l'équilibre; la chaleur, le froid, l'humide, le sec; la composition [talif) ; la vie, la douleur, la puissance, la vo-
(1) Contre la théorie de la sensation perçue par imtizâj, holoûl (Jahm, Hisltàm, Ibn Kaysân).
(2) Khalq fi koll waqt (Sàlimîyah. Ash'arî. Ibn 'Arabî).
(3) Tout ce qui est imaginable est admissible pour la raison ; et les possibles n'ont pas besoin, pour être, de paraître réalisables.
(4) Point hexaédrique, à six pans (devant, derrière, droite, gauche, haut, bas) ; donc susceptible de six compositions {taUfât), avec six autres atomes : deux à deux {mojâicarah). C'est de là qu'ai Hallâj tire les « six aspects » du point primordial (ici, chap. XII, ii).
rjD2 CHAPITRE XII
lonté, le refus, le désir, le dégoût, la croyance, le doute, la réflexion (nazar — kalâm alnafs). L'objectivité des sensa- tions est d'ailleurs aussi suspecte qu'invérifiable ; puisqu'el- les nous montrent les corps comme continus.
e) Chaque accident ne dure qu'un instant (qui lui est pro- pre) ; les durées n'existent donc pas. Le temps n'est que collections arbitraires d'instants hétérogènes, ânât (sg. an) ■= awqât (sg. waqi). Ce qui nous apparaît comme la succes- sion monodrome et irréversible des instants n'est que le premier des six modes de la priorité [taqaddom), que Dieu accorde occasionnellement à ceci, par rapport à cela : anté- riorité de date, causalité, convenance [tab' ~- simple accou- tumance momentanément imprimée), préséance (dignité), rang (fonction), essence.